31.1.08

C'est jeudi !


Etre dans la maison de Madame Gâ ne m'empêche pas de lui glisser un petit mot sous la porte.

30.1.08

Comme à Yoyogi

Une bâche Hello Kitty, une natte de plage, une bouteille thermos, du thé à l'herbe de bizon, quelques accessoires roses, des sujets de conversation à foison, le soleil qui ne faiblit pas.

29.1.08

Tuesday self portrait


La photo du jour a été prise après la tartine toastée au brie et au miel. Après que Ga a dit : "quoi ? il est déjà quatre heures ?"

Et, c'est vrai, le temps passe vite dans cette ville du sud.

28.1.08

Voiture 8 place 83

On se donnait rendez-vous sur le quai de la Yamanote, parfois.
Voiture 5 à Shibuya.
Ou on se retrouvait à Hachiko.
Au Studio Alta.
A Asakusa.
A la sortie nord de Shimokitazawa.
Souvent, je la faisais attendre.
Et puis, on allait boire du thé et toute la vie prenait sens.

Mon train avait un peu de retard. Quand j'ai franchi la porte du wagon, j'ai levé les yeux et elle était là. Voiture 8, sans même le savoir.
J'ai retrouvé Madame Gâ.
Et tout a recommencé.
Comme avant.
Comme toujours.
Aussi simplement, évidemment.

27.1.08

L'éternel retour

Attendre le train sur le quai, à la fin de l'après-midi d'un dimanche, c'était encore un retour en arrière, encore un. C'était encore -comme depuis mon arrivée- remettre mes pas dans mes empreintes tout en constatant que j'avais changé de pointure.

A la fin de la voie de l'aérotrain, j'ai tourné la tête à droite. Le spectacle y était inédit et magnifique : le ballet lent et majestueux d'un champ d'éoliennes en pleine Beauce, dans la lumière rêveuse du couchant.

(Cadeau inattendu d'un aller à Paris.)


Au bout du quai, j'ai retrouvé son sourire et, dans le métro, oublié de regarder les autres gens.
Descendre à Jourdain, c'était encore, encore revenir en arrière, du temps de Belleville. Et, de cette coïncidence, je ne suis même pas surprise.

La Tour Eiffel brille au loin. Les fenêtres sont sur cour. Le tofu est chinois. Le chat est bavard mais n'a pas une voix de castra. La bibliothèque est islandaise, japonaise, brésilienne. Il y a des pistaches dans les pâtes. Et Gérard se charge des desserts.
C'est un dimanche soir à Paris.

"C'était cela, cette autre vie, inopinément mêlée à la mienne, regardant l'opacité de ma vie avec les mêmes yeux attentifs que moi la sienne : une petite épiphanie. Puis sont venus le temps, la distance, la poussière. Mais j'en ai gardé en mémoire quelque chose de doux qui a nourri mes lendemains d'absence et de faim. Surtout le soir, les dimanches. J'ai retrouvé la manie de fumer en regardant au-delà des fenêtres pour voir ce que personne ne verrait."
Caio Fernando Abreu. Petites épiphanies.


26.1.08

Devenir le loup


(Avant que la salle s'obcurcisse, je parlais à Clémence de La flèche du temps de Martin Amis. Un roman écrit à rebours du temps. Impressionnant. Marquant.)
Le plaisir d'applaudir. Le plaisir irremplaçable d'un spectacle vivant.
"Etre loup, c'est un vrai métier, ça demande des compétences. Et puis ça doit être bien payé."
La promesse d'aller voir le dernier Tim Burton ensemble, un projet de vacances.
Une danse à deux dans le salon pendant que les autres parlent d'écouter Wagner, mangent des bonbons au poulpe, des caramels à la pomme de terre et que le chat dort, indifférent à tout.
Des pâtes -et des carottes râpées pour les légumes- et je connais enfin la différence entre les clémentines et les chameaux.
A Auchan, les rayons sont larges et sans rupture de stock, les gens ternes et tristes, les hommes souvent seuls, les enfants souvent réprimandés.
Au marché, des oranges à la pelle, des lichis sans compter, des oignons par 5 kilos et les doigts gourds de la marchande d'huitres qui cherche sa monnaie.
Au petit déjeuner, des histoires de terreur et de guêpe géante. Peut-on maîtriser ses rêves ?
Et pourquoi je m'éveille à 5h du matin ?

25.1.08

Bleu roi

Un jour avant mon départ, Ju, qui a toujours le sens de la formule, m'a dit : "le seul inconvénient de l'avion, c'est qu'il nous prive du temps du voyage".
J'ai eu douze heures pour réfléchir à ça.
Douze heures sans nuit.
Au-dessus des neiges de Sibérie, j'ai senti ma vie Tokyoïte s'éloigner sans savoir vraiment par quoi elle serait temporairement remplacée.
Douze heures sans lieu.
Et ce bleu sans discontinuer. Et cette couche de nuages épaisse comme la mousse au-dessus des laits chauds.
Douze heures pour changer d'heure.

Et puis.

Et puis... Deux filles dans un parking souterrain, qui disent "on écoute de la musique" en riant. Un ticket qui aurait pu ne plus être valable. Des églises et des champs. "Merci madame, bonne soirée". Des couleurs sur mes doigts. Un petit livre rouge. Une autoroute que je croyais connaître. Un panneau "Toulouse" qui fait naître quelques rêves. Cette adresse qui fut la mienne. Et les retrouvailles comme si... Comme si ça ne faisait pas si longtemps. Une maison où il fait doucement chaud. Un chat indifférent. Un plat de mâche sur la table. Et la fatigue comme au bord de l'évanouissement.

Et puis.

Et puis sourire de tout. Les pierres des maisons qui ont plus de cent ans. Les pavés des rues qu'on traverse alors que le feu est rouge. La couleur des cheveux des femmes. Cette impression que je connais tout le monde. Ce ciel bleu comme à Ikebukuro. Jeanne qui ne sourit toujours pas. "Merci madame, bonne journée". Deux livres au marché d'occasion. Des bribes de conversations. Une volée de cloches à midi. Un pain aux noix au soleil. Une cabine téléphonique. Un thé à la menthe dans lequel elle ajoute deux sucres. Yoko Ogawa dans la vitrine et ces auteurs que je retrouve comme des amis. Et le pont qu'on traverse à pied parce qu'il y a du soleil et que la Loire est belle.



Mary Poppins a pris le même avion que moi et, à 10000, s'occupe encore de me faire la vie belle, de dérouler sous mes pieds tout un tapis de fleurs.

24.1.08

C'est jeudi !


"Ma nouvelle vocation philosophique a connu des hauts et des bas. Kant a été un pénible moment à passer. Il faut le dire : la possibilité des jugements synthétiques a priori ne m'avait pas jusqu'à présent vraiment tourmenté.
Evidemment, la découverte que l'espace et le temps n'appartiennent pas aux choses elles-mêmes, mais relèvent de notre faculté réceptive, a provoqué chez moi un vertige assez désagréable : j'ai eu quelque mal à me déplacer dans mon appartement durant cette période, les objets bougeant en même temps que moi -mais je crois que c'était aussi dû à mon régime alimentaire."
La chaussure sur le toit Vincent Delecroix

Avant que tout tangue autour de moi et que je change l'heure de ma montre, j'adresse encore une missive à Madame Gâ. Et c'est ici que je la poste, comme tous les jeudis.

23.1.08

Jour de neige, veille de neige


Je crois qu'il est bon qu'on ne puisse pas se prononcer sur la météo. Que, au moins dans ce domaine, les sondages d'opinion ainsi que les référendums soient impossibles. Que le ciel continue à faire selon son bon plaisir indépendamment de l'avis de quiconque.
Parce que je suis sûre que, dans le cas contraire, la prise de pouvoir du temps qu'il fait serait une raison de conflits mondiaux encore plus redoutable que la religion.
Journée grise, rafales de neige qui glacent les os, j'attends demain avec impatience pour une météo autrement plus douce.

22.1.08

(No) Tuesday self portrait


Pas de self ce mardi mais le portrait de mon portraitiste préféré venu exprès à Tokyo pour s'acheter un nouveau jouet.

21.1.08

Shinjuku-Normandie aller-retour


Il n'y a jamais de place assise dans le rapide express. Le voyage commence à travers les rizières et, ce week end, il a neigé sur les montagnes.
Le temps de mon trajet est le même que celui de l'émission et le train entre en gare de Shinjuku alors que Caroline Champetier achève son récit d'un tournage en Normandie. Cela m'avait, bien sûr, demandé nettement moins d'efforts d'imagination lorsque, il y a quelques semaines, elle avait décrit les travellings du dernier film de Carax, sur les trottoirs de Ginza.
"Le ciel se chargeait lui aussi et, du flou au net, du net au flou, nous passons des animaux aux nuages dans la même excitation que peut produire la découverte d'une forme. Cette forme que Boudin découvrait un siècle plus tôt avec ses outils à lui.
En très gros plan, sur le flan tacheté d'une vache blanche à taches noires, nous étions dans les mêmes formes que dans le ciel et lorsque nous remontions l'optique vers le haut, c'était cent vaches qui piétinaient tête en haut tête en bas dans un abandon total de la perspective et de la profondeur, tout étant ramené à la surface de l'image. L'impressionnisme touché, vécu, filmé."

Et, comme un message sur mon téléphone m'a offert une heure de libre, je vais me jucher sur une chaise haute.

Dans ce lieu où les onigiris sont également à emporter, il y a cette femme qui respire à peine entre deux inspirations de fumée et encore moins entre deux cigarettes qu'elle allume à la suite -ce qu'elle fait quatre fois- pendant que sa mère, qui a abaissé son masque, fait du bruit avec sa paille.

Et le sol tremble au passage de chaque train.

Il y a cette autre à qui il n'a fallu que trois bouchées pour avaler cent grammes de riz.
Il y a celle qui fait des grimaces devant son miroir comme dans sa salle de bain pour remaquiller ses pommettes.

Et je suis, quant à moi, parfaitement immobile.

Il y a celle qui est jolie sans qu'on sache dire pourquoi et dont les yeux continuent à rire pendant qu'elle a la bouche pleine.

Et la foule, sans arrêt, derrière la vitre.

En la voyant déposer un verre de blanc sur sa table, je réalise qu'il est l'heure de l'apéritif et que c'est l'heure de partir.

20.1.08

"et votre inquiétude et votre préoccupation s'effaceront"


Au EastYeast café, les Beatles ainsi que la Yamanote, par la fenêtre, tournent en boucle.
C'est l'agitation joyeuse des dimanches. Ces groupes d'amis qui, aux beaux jours, se retrouvent au Botanique pour boire du vin sur l'herbe et qui, en hiver, viennent ici manger des petits pains frits.

"Votre espoir demeure dans votre coeur.
Dans la vie, rien n'est à craindre. Tout est à comprendre.
Le futur appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves.
Comme vous êtes unique au monde, avancez vous-même avec assurance.
"merci" pour toutes les choses passées, ainsi que "oui" pour toutes celles à venir."

A l'heure du thé, j'avais envie de voir un oracle dans les phrases inscrites en français sur mon plateau.

19.1.08

Ma vie dans les cafés

Mon samedi a eu des allures de club sandwich.

Shibuya déjà en effeverscence quand j'y arrive.
Des considérations sur les punks à Londres sur fond de Red Hot Chili Peppers.
Des conseils avisés : faire des bêtises dans l'aéroport permet d'être assez fatigué pour, ensuite, dormir dans l'avion.

Un rai de soleil sur la table qui me donne envie d'entrer. Earl Grey. Musique brésilienne et une porte qui ne se referme pas seule.

Un petit garçon blond qui veut m'embrasser et qui, plus tard, ira voir les camions de pompiers.
Un album de Stieglitz et des stores baissés au Book Off. Deux heures dans les pages. Un chai latte.

Une conversation superficielle parce qu'on sait qu'elle ne va pas durer et, en effet, un mail à 18H23 : "fini !"
Et puis vite rentrer. A peine un détour par l'AMPM pour le tofu du lendemain.
10° chez moi... Je regrette presque de ne pas avoir fini mon livre dans un autre café.

18.1.08

Ma vie dans les trains

Il n'est pas rare que, à bout de forces et bien dans mes pages, savourant la douce chaleur qui se dégage des sièges chauffants et qui tranche avec la température extérieure ou celle de mon appartement, j'envisage très sérieusement de laisser passer mon arrêt et de rester dans le train. Encore une heure. Encore un tour.

La lecture Yamanote du moment : Quand nous étions orphelins de Kazuo Ishiguro.
"-Alors, mon garçon ? avait demandé la voix du colonel près de moi. Vous pensez que vous reviendrez un jour ?
-Oui monsieur. Je crois.
-Nous verrons. Une fois installé en Angleterre, j'imagine que vous aurez tôt fait d'oublier tout cela. Shangai n'est pas un endroit désagréable, mais huit ans, pour moi, c'est plus qu'assez. Et à mon avis, vous y êtes resté assez longtemps aussi. Encore un peu et vous seriez devenu chinois !
-Oui monsieur.
-Ecoutez, mon garçon, il faut que vous retrouviez le sourire, maintenant. Après tout, vous retournez en Angleterre. Chez vous.
Ce furent ces derniers mots, cette idée que je retournais "chez moi", qui me firent succomber à mes émotions.
De mon point de vue, j'étais en partance pour un pays étranger où je ne connaissais pas une âme, alors que la ville qui reculait progressivement devant mes yeux recelait tout ce qui m'était familier."

17.1.08

C'est jeudi !


Aujourd'hui, c'est dans une boîte aux lettres que m'a offerte Anne que j'ai posté ma lettre à Madame Gâ... Merci Anne, pour ce joli clin d'oeil !

16.1.08

Ma vie dans les miroirs

A quoi sert le passé ?

Dans les rues et les miroirs de Mitakadai à la tombée du jour, frissonnant malgré la laine rose de mes mitaines, j'ai retrouvé l'exacte sensation d'un soir de juin où mes épaules étaient nues et l'étaient restées tard, alors que le soleil était couché depuis longtemps sur la plage et que ne demeuraient qu'une poignée d' amis qui préféraient faire brûler encore des feux d'artifice plutôt que de se soucier de l'heure du dernier train.
Quelques heures plus tôt, j'avais été, justement, dans ces mêmes rues, ces miroirs. Et puis, dans la Yamanote, il m'avait dit "méfiez-vous des hommes Japonais" et j'avais souri et pas seulement parce qu'il avait les yeux bridés.

J'aime, parfois, me saisir d'un jour passé, le superposer à ma réalité, en retrouver les sentiments, les attentes, les instants. Et puis revenir dans le présent, tranquillement.

Avant que j'atteigne la gare, mon téléphone a sonné. Premier mail de la journée. Je ne suis plus jamais seule dans les miroirs de Mitakadai.

15.1.08

Tuesday self portrait (ma vie sans moi)


(Certains jours, je me contente d'être un personnage secondaire)

14.1.08

A Ikebukuro avec André Gide

André Gide émergeait-il de deux heures de shopping (plus ou moins) (in)fructueux dans les boutiques d'Ikebukuro un jour férié pour écrire son fameux "famille je vous hais" ?!!!

A ceux qui pensent que les musiques rapides poussées à fond de ces endroits découragent les achats plutôt que le contraire, j'oppose mon exemple personnel...
Car, sans passer au préalable par tous les étages bruyants du Parco où je me suis usé les yeux sur les coloris divers des vêtements en me demandant s'ils plairaient éventuellement à des adolescents, je ne serais certainement pas montée jusqu'au Towers records, me réfugier dans le douillet rayon jazz. Et j'aurais économisé les 2000 yens que m'ont couté les quatre cd de Chet Baker ainsi que les deux de Sarah Vaughan !
N'empêche que sa voix à elle qui chante "thinking of you" à l'heure du thé aux trois noix, du jour qui s'éteint, des bougies qu'on allume... ça n'a pas de prix !

13.1.08

Les heures diffuses

"Je jette toujours un coup d'oeil sur les bibliothèques des gens chez qui je suis invité. Il semble que je suis parfois trop cavalier, insistant ou inquisiteur, on m'en a fait le reproche. Mais les bibliothèques sont passionnantes parce que révélatrices. L'absence de bibliothèque aussi, l'absence de livres dans un lieu de vie, qui en devient mortel."
Jorge Semprun. Le mort qu'il faut.

C'est dimanche et les heures comme les ambiances se succèdent à Otsuka.
Une lecture achevée sous les draps : L'ombre des fleurs de Ooka Shôhei (Les bars du Ginza d'après-guerre, le bruit des getas dans la rue, les concubines qui sont de vieilles femmes à 40 ans...)
Du vent, du soleil.
Des paquets emballés. Des paquets à emballer.
Syd Matters ("everything else" en boucle).
Puis, à l'heure du thé, des petits pains au sésame, de la confiture de figue et des nouvelles de la rentrée littéraire de janvier.
Et, déjà, le jour qui décline.
Dans mon sac, glisser un pantalon, un livre que je lui prête et aller respirer la rue.

12.1.08

Derrière les shojis la nuit

Il fait souvent nuit quand je fais coulisser les shojis pour entrer chez elle.
Sur les murs de la cuisine, il y a des polaroïds mais pas seulement.
Je m'assieds et, pendant que l'eau chauffe, nous commençons à parler.
Elle enfourne une tarte et le fromage qui fond parfume la pièce.
J'aime son imagination gourmande, ces associations qui, ensuite, me paraissent si évidentes.
J'aime la décontraction pourtant révérencieuse avec laquelle elle accomode la tradition de ses inventions.
Dans la lumière douillette, le chat se glisse en même temps que nous sous le kotatsu.
Nos mots résonnent pendant des heures.

Vous aussi, poussez les shojis : Valérie ouvre les portes de sa cuisine et livre ses recettes qui nourrissent si profondément mon coeur.

11.1.08

La tasse de Mme Ota

"Une nuance de rouge à peine perceptible se jouait dans le blanc écru de la matière. A contempler cette pièce un moment, on eût cru voir le rouge monter, comme par transparence, dans le blanc. Le bord même de la tasse se teintait légèrement d'ocre rosé, plus foncé en un point.
Etait-ce l'endroit où se posaient les lèvres pour boire ?
Le thé avait pu laisser cette marque à peine visible, mais peut-être aussi le rouge des lèvres féminines tant de fois et tant de fois posées là.
A y bien regarder, on pouvait retrouver une nuance de rouge au fond de la teinte ocrée. Etait-ce donc le rouge à lèvres de Mme Ota qui avait, à force, fini par s'imprégner dans le grain même de la céramique ?
Ce fugitif et subtil mélange des tons bruns et rouges, on le retrouvait jusque dans les fines craquelures en résille de la surface, pour peu qu'on y fît attention.
Teinte fanée du rouge à lèvres, tel un pétale flétri de la rose, brunissant tel le sang séché, se disait Kikuji avec une émotion étrange qui lui faisait battre le coeur. Dans le même moment, une sorte de dégoût, un écoeurement malsain le soulevait, qui allait jusqu'à la nausée, cependant qu'une espèce de tentation l'attirait irrésistiblement et lui laissait la tête vide, presque jusqu'au vertige."
Kawabata. Nuée d'oiseaux blancs.

Les romans de Kawabata sont peuplés d'hommes sensibles et attirants qui, à force de ne pas savoir choisir, ne pas savoir décider, passent imperceptiblement à côté de leur vie.

10.1.08

C'est jeudi !


Heureux jour que le jeudi où Madame Gâ fait sourire ma boîte aux lettres...

9.1.08

C'est la faute à l'hiver


J'avais envie d'y croire quand, tout à l'heure, je lui disais que, malgré ses allures vitaminées, l'hiver nous pompe notre énergie et nous fatigue (parfois de nous-même)...
Mais, honnêtement, est-ce que je peux rendre responsable l'hiver de l'eau que je renverse à côté de la théière, de la clef de mon antivol que je perds, du paquet de farine que je fais tomber ???
Est-ce que c'est la faute de l'hiver si la bretelle de mon sac a cédé à la fin de ma journée ???

8.1.08

Tuesday self portrait (chez moi)


"-Je veux quitter le Japon.
-Ah oui ? Pourquoi ?
-Tu es venue en métro ce matin ?
-Non, j'ai pris la Yamanote mais je vois ce que tu veux dire.
(...)
-Tu as des nouvelles des autres ?
-Non, mais je suis sur Facebook. J'en aurai peut-être.
-Moi j'ai rencontré J. Il était avec une jolie fille.
-Comme toi.
-Pardon ?
-Une jolie fille, comme toi.
-Non.
(...)
-J'ai travaillé au Kenya.
-C'est comment, le Kenya ?
-Différent."

Comprendre leurs brèves retrouvailles qu'ils ont vécues en anglais à la table voisine m'a dépaysée.
Hier, en leur disant : "rentrer, c'est forcément aller chez soi", j'ai pensé : et, donc, je ne rentre pas en France. J'y vais.

7.1.08

DANS LE TAXI (Asagaya)


Même s’il y était né, il n’imaginait pas qu’il était possible de bien connaître Tokyo.
Même le quartier dans lequel il avait grandi, avait joué, avait aimé, s’était tellement modifié au fil des années que, lorsqu’il allait voir ses parents, il ne reconnaissait plus certaines rues. Les boutiques changeaient d’enseignes. Des maisons étaient détruites. D’autres construites. Des arbres étaient abattus. D’autres plantés. Il était inutile d’entreposer des souvenirs dans des lieux aussi mouvants.

Lorsqu’il avait émis le désir de devenir chauffeur de taxi, tout le monde l’avait mis en garde.
Tu vois bien la moyenne d’âge des gens qui font ce métier. Tu t’imagines porter des gants blancs et conduire une voiture aux sièges couverts de napperons. Tu sais, même avec les GPS, c’est très difficile de trouver une adresse. Avec ton mauvais sens de l’orientation, tu ne vas pas t’en sortir. C’est mal payé. Tu vas craquer au bout de trois mois.
Pas une parole d’encouragement.
Etait-ce donc cela avoir des amis ?

Depuis un an qu’il conduisait sa voiture jaune dans la nuit de Tokyo, il n’avait, de toute façon, plus le temps de les voir, ces gens, et plus l’envie de leur raconter à quel point il appréciait cette solitude entrecoupée de minuscules rencontres, de conversations brèves ou de confidences.
Il était grisé par cette sensation de liberté que lui donnait la musique dont il augmentait le volume quand il maraudait dans les rues, attentif aux feux, à la circulation mais aussi aux bras qui se tendaient dans la nuit.
Il chantait, il parlait tout haut. Et, quand il embarquait des clients aux trajets sans surprise, il reprenait le cours silencieux de ses pensées.
De son métier, il n’avait rien à raconter. Pas d’anecdotes croustillantes. Pas d’errances interminables à la recherche d’une adresse. La vie des gens était très ordinaire et sage. Ils savaient souvent où ils allaient. Ils rentraient d’une soirée, rentraient du bureau où ils avaient fait des heures supplémentaires…
Beaucoup d’entre eux s’endormaient sur la banquette. Les couples n’avaient plus l’énergie des premières heures de la soirée pour se disputer ou se regarder amoureusement.
Sa voiture jaune était un lieu de capitulation, d’abandon, un cocon en transit.
Cela lui plaisait d’assouplir sa conduite, en fin de nuit, pour procurer à ses clients une plus grande sensation de douceur et d’oubli.

C’était les heures qu’il préférait même si lui aussi commençait à ressentir les prémices de la fatigue qui le ferait s’effondrer, un peu plus tard, dans son lit.
En été, sa voiture climatisée était un îlot de fraîcheur, dans lequel on oubliait la moiteur de l’air extérieur.
En hiver, sa chaleur protectrice isolait de l’agression du vent froid qui, au-dehors, malmenait les jupes des femmes, chahutait les chapeaux des hommes…

C’est une nuit d’été qu’elle monta dans son taxi.
Il écoutait beaucoup, à ce moment là, un album de Radio Head et il avait eu à peine le temps d’éteindre le son : elle avait levé le bras dans sa direction juste au moment où il allait la dépasser.
Frêle silhouette sur le trottoir, elle paraissait sur le point de s’évanouir. Sa voix n’était qu’un filet, presque recouvert par la portière qui se fermait.
Asagaya Allez jusque la gare. Ensuite, je vous guiderai.
Malgré l’heure avancée de la nuit, malgré son état d’épuisement, elle dégageait une impression de fraîcheur. Sa jupe n’était pas froissée. Son visage n’était pas marqué. Son parfum n’était pas altéré.
Grâce à son expérience, il eut la certitude qu’elle dormait déjà au moment où il démarrait.

Le quartier qu’elle lui avait indiqué était éloigné et il n’avait pas l’habitude de s’y rendre. Pour être sûr de son itinéraire, il préféra consulter son GPS. Il remit son disque de Radio Head, le volume au plus bas. Et négocia doucement les virages de son trajet.


Arrivé à la gare qu’elle lui avait indiquée, il se mit en double file et déclencha les warnings. Elle dormait toujours.
Souvent, l’arrêt de son véhicule réveillait les dormeurs. Ou bien il se retournait et le bruit de sa voix suffisait à les faire émerger. Ces gens étaient souvent épuisés mais gardaient les réflexes de ceux qui sont habitués à dormir dans le métro, sur un banc, dans les fauteuils des grands magasins, partout où ils pouvaient glaner quelques minutes de sommeil et d’abandon.
Mais là, il n’avait pas envie qu’elle se réveille.
Sa présence emplissait l’habitacle de la voiture d’une ambiance particulière, très féminine, très paisible.
Il prenait un risque en ne l’éveillant pas : elle pouvait être pressée de rentrer chez elle, fâchée d’avoir perdu son temps dans ce taxi.
Mais il avait envie que le temps s’arrête, que cet instant dure longtemps, que sa voiture s’imprègne de sa présence, qu’elle en garde le souvenir pour les nuits à venir.
Le disque s’achevait. Il appuya sur play à nouveau. Il ne se lassait pas de cette voix qui s’accordait si bien avec la nuit.
Vous m’avez laissée dormir ! Sa voix ensommeillée souriait. Il se tourna vers elle. Allons-y à présent. Non, elle n’était pas fâchée.
Elle lui indiqua où aller à travers un dédale de petites rues à sens unique où il lui était difficile de tourner. Le soleil était en train de se lever. Eclairait doucement les palmiers des jardins, faisait briller les boîtes aux lettres. Ce quartier était fleuri et tranquille, encore endormi. C’était la première fois qu’il y circulait. Il suivait l’itinéraire que sa voix aux douces inflexions lui dictait et se surprit à remarquer de minuscules détails, comme s’il était en train de retenir le chemin, comme s’il aurait encore à prendre cette route.
Il notait intérieurement le vélo enfoui sous les plantes qui l’avaient recouvert, l’arbre qui débordait sur la rue, la couleur jaune si originale de cette maison, une plaque colorée annonçant : « Yamada family », les nains de Blanche Neige à une fenêtre, une pleine jardinière de cette fleur dont il oubliait toujours le nom, la fleur préférée de sa mère.
Vous pouvez vous arrêter là.
Il faillit sursauter.
Merci pour la course, merci pour la musique.
Pendant qu’elle cherchait son porte-monnaie, il éjecta le disque de Radio Head et, sans plus réfléchir, lui tendit en même temps que le ticket qu’il avait édité.
Elle sourit et, déjà, ses chaussures à brides et à talons claquèrent sur la chaussée. La porte se ferma automatiquement.


(Les photos sont de E.. Merci E. !)

6.1.08

De l'utilité de toute chose


Le moins que l'on puisse dire c'est que je n'ai pas le sens de la répartie.
C'est, en effet, seulement maintenant que je sais ce que j'aurais aimé répondre à ces garçons boutonneux et obtus qui, en classe de seconde, disaient avec mépris : "on s'en fout, du français, d'toute façon, on veut faire S. Et puis, à quoi ça sert la littérature ?".
(C'est bien les scientifiques, ça, de vouloir une utilité à chaque chose...)
Plus que savoir ce qu'ils sont devenus -ce qui m'importe peu- j'aimerais savoir ce qu'ils ont gardé, eux, de cette année de leur scolarité. Pendant que je découvrais Gracq, Céline, Beckett... étaient-ils marqués à vie par un calcul vectoriel ou par la formule permettant de savoir à quelle vitesse est propulsée une balle par le canon d'un revolver ???

Je sais donc maintenant ce qu'il aurait fallu répondre à leur question : "à quoi ça sert?"

"Outre la promenade, il n'y avait qu'un autre moyen de tromper l'angoisse gluante de la promiscuité perpétuelle : c'était la récitation poétique, à voix basse ou à haute voix. Ce moyen-là avait sur la promenade hygiénique un avantage considérable, même s'il était, bien évidemment, moins salutaire pour le corps en déréliction : c'était de pouvoir se pratiquer à tout moment, quel que fût le temps, l'endroit, l'heure de la journée.
Il y suffisait d'un peu de mémoire.
Ainsi, même assis sur la poutre des latrines du Petit Camp; ou éveillé dans le brouhaha gémissant du dortoir; ou aligné au cordeau sur la rangée de détenus devant un sous-off SS faisant l'appel; ou attendant que le service des chambrées découpât au fil d'acier le dérisoire morceau de margarine quotidien; dans n'importe quelle circonstance on pouvait s'abstraire de l'immédiateté hostile du monde pour s'isoler dans la musique d'un poème.
Aux chiottes, quelle que fût la pestilence et le bruyant soulagement des viscères autour de vous, rien ne vous interdisait de murmurer la consolante mélodie de quelques vers de Paul Valéry." (Le mort qu'il faut. Jorge Semprun.)

La littérature sert à rester humain en toute circonstance.

J'étais au lycée pendant que Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat étaient enfermés dans un sous-sol libanais. Et voir, chaque soir, le compte des jours de leur captivité en ouverture du journal télévisé me tordait le ventre.
Avec Nadine, on avait réfléchi à une nouvelle filière professionnelle : un BTS otage.
Il nous semblait que, quitte à ce que cette odieuse pratique d'enlèvement perdure, mieux valait qu'elle soit professionnalisée (de part et d'autre : nous avions également songé à un DUT terroriste).
Nous n'avons appris qu'ensuite à quel point la littérature avait aidé Kauffmann dans sa détention mais nous avions pressenti que la lecture de grands textes devait figurer au programme. De ces auteurs dont mâcher une phrase peut occuper toute la journée.
Car qui tiendrait le coup -ne serait-ce qu'un mois- dans la jungle amazonienne à se réciter du Amélie Nothomb ? Qui cela aiderait de déclamer du Pennac ? A qui cela sauverait la vie de se souvenir des intrigues de Douglas Kennedy ?

Quand j'ai refermé mon livre ce matin, au café, c'était encore l'heure du petit-déjeuner.
Suite au message que je lui ai envoyé, il m'a appelée : "Oui, je l'ai lu. Je peux te le prêter, si tu veux."
Il est des lectures (Le mort qu'il faut de Jorge Semprun) qui donnent envie de lire (Absalon Absalon de William Faulkner).

5.1.08

Et puis...

...Et puis il y a ces journées, sans tambour, sans trompette ni photo.
Ces journées ordinaires qui n'ont aucun motif de faire la une des journaux, qui ne visent pas la première division et, pourtant, recèlent tout un lot de petites fortunes dont, le soir tombé, je peux faire le compte.

Un ciel gris qui devient bleu.
Une heure qui me fait penser que, décidément, je fais un bien joli métier.
Les testaments trahis de Milan Kundera et Les bébés de la consigne automatique de Ryu Murakami en français ET en solde au Book off.
Deux heures de lecture au café. Un darjeeling puis un chai. (Le garçon en pyjama rayé de John Boyne laisse une impression glacée. A la fin, besoin de sortir et marcher. Respirer. Quitter les barbelés.)
La lecture de mon horoscope. (ça alors ! J'avais donc raison d'inaugurer mon cahier Mary Poppins !)
Une manière inattendue et inespérée de mettre une croix devant leurs noms sur mon carnet avec l'agréable impression d'avoir rempli sans effort une tâche un peu difficile.
Un retour à l'heure du thé et, justement, il y a du thé dans ma boîte aux lettres (et un badge dont l'or et les coeurs sont aux couleurs de mon humeur !!! Merci Flo, c'est chouette, merci !)
La (re)découverte de mon pull rouge au col aussi long que le pull lui-même : un excellent moyen d'avoir tranquillement chaud.
Tout un tas de disques à écouter (ça aussi, c'est chouette, merci !)... Haendel, Radiohead, Le Kronos Quartet... par quoi commencer ??? C'est finalement Burial qui rend électronique ce samedi qui n'est pas encore fini.

4.1.08

Un 4 janvier à Tokyo


C'est, sans préméditation, monter sur un toit de la ville.

Et boire le oolong du matin face au Mont Fuji.

C'est s'amuser du ruban de la Yamanote qui tourne comme un jouet.

C'est tout ce bleu Ikebukuro qui ressemble à un cadeau.

C'est ce sentiment si fort, si sûr, qui submerge mon coeur et me fait m'écrier :
"Comme je l'aime ce paysage !"

(Et, en guise d'accroche-coeur, une citation de Lawrence Durrell : "Une ville devient un univers lorsqu'on aime un seul de ses habitants.")

3.1.08

C'est jeudi !


Le dimanche, le 1er janvier... A Tokyo, le facteur ne fait pas relâche et j'ai toujours du courrier.

Madame Gâ non plus ne fait pas relâche et m'écrit ICI tous les jeudis !

2.1.08

La poule aux oeufs d'or


"Une boulangerie est une bibliothèque. Les pains rangés, des livres classés. Il y en a pour tous les goûts. J'ai toujours perçu le côté voyou de la baguette. Elle évoque le polar. Simple, direct, populaire, on est tout de suite dans le vif du sujet, inutile d'épiloguer. D'ailleurs, on ne peut en faire des tartines mais des sandwiches, pratiques à emporter dans le train ou en pique-nique. Le pain de campagne serait un roman du terroir et le noir un récit macabre, la couronne un livre d'Histoire, le pain individuel une nouvelle. Le défaut de croustillant assimile le pain de mie au roman commercial et sans relief. Il n'est pas défendu de s'en régaler mais sitôt avalé, sitôt oublié. Le pain viennois est une tendre fable pour enfants, le pain d'épice un conte cruel. Enfin, le pain complet fait le tour de la question." Hubert Michel. Mes péchés bretons.

Il y a, à présent, entre les pages d'Hubert, quelques miettes et éclaboussures de clémentines en plus de savoureux chapitres à propos du beurre, des huitres ou des galettes saucisses.
Pourquoi courir après le bonheur comme s'il était aussi rare qu'une poule aux oeufs d'or ???
Alors qu'il consiste juste à manger une galette des rois de chez Kaiser en lisant un livre gourmand, sur un balcon, dans le bleu du ciel et la douceur de l'air de Tokyo, un midi de janvier.

1.1.08

Tuesday self portrait (un an après)


Les couleurs du pola sont montées très vite : en plein soleil, il faisait presque chaud. Seul mon visage est, décidément, resté blanc. Ainsi, un an après, j'étais, à nouveau, une image fantôme.

Sait-on jamais vraiment ce qu'on laisse de soi dans la vie des autres ?
(Il me plait à imaginer que quelqu'un a ramassé les verres déposés dans le sable et bu à notre santé...)
J'ai aimé, moi, ce qu'on a déposé dans la mienne cette année.
Images minuscules, moments tant attendus, surprises délicieuses, mots précieux... Je veux tout garder de ce millésime.

Je vous souhaite une année en forme de grand huit, une année sensible et tendre, une année que vous n'aurez pas envie d'oublier. Et, comme tout reste toujours à inventer, je vous souhaite une grande et belle imagination.