23.8.09

Les interviews de Marguerite (7 : le voyou)


-Pourquoi avez-vous été transféré à titre disciplinaire de la prison d'Evreux à la Maison centrale de Poissy ?
-Pour avoir mangé des endives entrées clandestinement et avoir refusé d'en avouer l'origine. J'ai été transféré à titre disciplinaire à Poissy après de multiples incidents.

-On m'a dit que vous aviez fait plusieurs grèves de la faim.
-Oui. Cinq, dont deux de vingt-sept jours. Une, notamment, pour obtenir ma liberté provisoire. Ca ne m'a mené à rien. "Il peut bien crever", a dit le juge A...

-Qu'est-ce que vous avez connu de pire ?
-La section criminelle de Henri-Colin à ma première détention à Villejuif. J'y suis resté deux ans et demi. Je préférerais la guillotine tout de suite plutôt que d'y retourner. J'avais dix-huit ans quand j'y suis entré. C'était alors le bagne. Moi, j'y ai été interné pour démence précoce. Et les haricots et les pois cassés m'ont miraculeusement guéri. Il y avait très peu de fous.

-Qu'est-ce que vous avez fait le jour de votre sortie ?
-C'était le 9 janvier. Ma mère m'attendait à la sortie. L'après-midi, j'ai été avec une femme. Le manque de femme est terrible en prison, c'est peut-être ce qu'il y a de plus dur. La femme avec qui je suis allé a compris que je sortais de cabane parce que je me suis trompé sur les billets de mille, j'en étais resté aux billets bleus. Il y avait beaucoup de changements à Paris. La mode, par exemple. Les femmes étaient plus belles que dans ma jeunesse. La circulation était fantastique. C'est extraordinaire d'être dans la rue. Vous voyez, c'est dans la rue que je me dis qu'il serait dommage de remettre ça.

-Y a-t-il beaucoup de gens qui se suicident en prison ?
-Non. Très peu. J'ai connu un type inculpé pour une affaire de moeurs qui était hanté par le suicide. Il nous faisait chier avec ça. A la fin, on en a eu marre. On lui a conseillé de le faire.

-Il l'a fait ?
-Oui. Il y en a que le travail distrait. Moi, j'ai toujours préféré ne pas travailler. Je lisais un livre par jour.

-Qu'est-ce qu'un voyou ?
-C'est un type qui a une formation de voyou. Je ne peux pas vous la définir. Il faudrait illustrer la chose par une centaine d'exemples pour que vous arriviez à comprendre, pour arriver à une conclusion générale.

-A quel milieu appartenez-vous ? A un seul ? A plusieurs ? Vous êtes à la fois un intellectuel et un voyou ?
-Je suis un fils de bourgeois qui a bien tourné.
France-Observateur. 1957

3 commentaires:

le consul a dit…

merci pour cette belle semaine...

Gé. V. K. a dit…

Je me rends compte à quel point ce blog a changé depuis le début, toujours excellent et toujours différent, telle est la devise? C'est un peu un blog caméléon...Mais donc on ne pourra jamais se lasser????

Anonyme a dit…

En décalé mais bien présente : magnifiques et merveilleux ces interviews, j'ai envie de m'y plonger toute entière.
Le petit disait qu'il avait du mal avec la terre qui tourne - moi j'ai réalisé hier que la lune ici avait son croissant en bas et ça m'a paru bien étrange...Paolo à qui j'en faisais la réflexion, m'a simplement répondu : 'mais oui, elle fait le sourire du chat'.
DesBIsesDoucesEtInversées