6.1.10

Dans la ville

"Cela faisait un mois à peine que j'étais à Tokyo, pourtant, j'avais l'impression d'y vivre depuis des années, tant le paysage urbain m'était devenu familier. Je connaissais si bien ce quartier que si quelqu'un m'avait salué, je n'aurais pas été autrement surpris. Je ressentais même une certaine nostalgie à la vue de la vieille boîte à lettres au coin de la rue, des pancartes aux couleurs écaillées, des bosquets touffus de chênes-lièges qui dépassaient des haies des propriétés privées. Les klaxons des voitures, les conversations des ménagères avec leurs voisines devant les portes arrière des maisons, les cris des corbeaux perchés côte à côte sur les lignes électriques, un piano sur lequel quelqu'un faisait ses gammes...
Tous ces sons se mêlaient pour composer le bruit de fond d'un quartier qu'il me semblait connaître depuis longtemps.

J'achetai un journal au kiosque devant la gare, le mis sous mon bras et passai le portillon d'entrée. Sur le quai s'allongeaient les ombres des rares passagers qui attendaient le train. Je me faufilai entre elles, en direction de la rame de tête.
Le train entra doucement en gare, m'avala en silence avec les autres passagers. A l'intérieur de la rame, les gens se tenaient debout, à distance respectueuse les uns des autres, les regards s'évitaient avec une extraordinaire constance, chacun centré sur son propre univers. Levant les yeux, je m'agrippai à la courroie de cuir suspendue près de l'entrée et, imitant les habitants de la capitale, attendis, silencieux et immobile, que le train arrivât à Shibuya. Je m'étais habitué à vivre au milieu d'une foule paisible qui respectait les règles sans protester. Je me sentais vraiment faire partie de Tokyo."
Hitonari Tsuji. L'arbre du voyageur.

1 commentaire:

Dvorah a dit…

:-)