31.7.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (5 : sur le vif)


"Dans diverses situations -fêtes de famille, voyage- il est intéressant de photographier les personnages à leur insu. Ils sont beaucoup plus naturels puisqu'ils ne font pas attention à vous. Vous pouvez alors saisir les émotions authentiques et des expressions qui révèlent le caractère des sujets ou des expressions totalement naturelles et non contrôlées -véritables "tranches de vie"
Guide de la photographie Kodak. (1983)

Ils râlaient en me voyant sortir mon appareil photo parce que, disaient-ils, il allait encore falloir poser.
A les entendre, rien ne valait les photos prises sur le vif. Au moins y était-on plus naturels et spontanés.
Je passais quelques heures de labo à peaufiner le contraste de mes portraits noir et blanc.
Eux choisissaient l'option tirage multiple au moment de faire développer leurs pellicules. Ainsi étaient-ils sûrs de pouvoir les distribuer.
Nous étions naturels, en effet : les yeux rouges ou fermés, la peau rendue luisante par l'éclat du flash, la bouche pleine... Ou parfaitement à notre avantage mais cachés partiellement par le col des bouteilles au premier plan ou par le bras levé de quelqu'un qui se resservait à ce moment-là.
Pour ma postérité, je me suis mise aux self-portraits.

30.7.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (4 : c'est jeudi !)

"Si votre sujet bouge trop vite pour que vous puissiez arrêter le mouvement, vous devez alors le suivre avec votre appareil et accompagner ce mouvement de tout votre corps pour que votre modèle reste à la même place dans le viseur. Cela demande bien sûr une certaine pratique; en effet, il faut que vous tourniez votre corps en souplesse tout en contrôlant le déclencheur pour bien choisir le moment de la prise de vue. Continuez votre mouvement après avoir déclenché."
Guide de la photographie Kodak. (1983)

Comme tous les jeudis de l'année, c'est dans la boîte aux lettres de nos jeudis que je glisse une photo et quelques mots à l'adresse de Madame Gâ.

29.7.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (3 : le mariage)

"Puisque vous avez l'avantage de connaître certains des invités et des membres de la famille, ayez l'oeil sur les personnages les plus pittoresques pour faire leur portrait à leur insu. Ces scènes prises sur le vif seront gardées précieusement par ceux qui en ont été les acteurs, en particulier les mariés. Vous pourrez même faire un cadeau très agréable en offrant un petit album réalisé avec vos meilleurs clichés. Grâce aux photographies, tout le monde se souvient des mariages. Faites-en beaucoup, vous ferez beaucoup d'heureux !"
Guide de la photographie Kodak. (1983)

Il faut croire que dire "oui" lors d'un mariage n'a pas pour tout le monde la même valeur d'engagement.

Ses tirages noir et blanc étaient réussis, ses prises de vue originales, elle m'avait fait connaître le labo où j'ai presque tout appris...
A la question : "acceptes-tu de prendre les photos de notre mariage ?", F. avait répondu "oui".

Deux mois après, elle s'était un peu irritée de notre impatience à voir le résultat.
Elle avait néanmoins consenti à nous montrer les premiers tirages mais avait besoin de temps pour procéder aux montages.
Nous étions ressortis de chez elle éblouis : jamais nous n'avions été aussi beaux que sur ces photos.

Quatre mois après, nos témoins avaient oublié qu'ils avaient pris la pose et tout le monde s'était heureusement contenté des clichés couleur aimablement pris par d'autres invités.

Cinq mois après, à notre banal : "et alors, ça avance ?", F. nous pria de cesser de la harceler.

Six mois après, alors qu'elle était débordée par d'autres projets, je lui proposai de nous donner ses premiers tirages ainsi que les négatifs avec lesquels on saurait se débrouiller. Elle refusa.
R., d'avec qui elle était en train de se séparer, nous révéla que jamais en quatre ans de vie commune, il ne l'avait vue achever quelque chose qu'elle avait commencé.

Finalement, F. choisit de changer de trottoir lorsqu'elle nous apercevait ou de ne pas nous dire bonjour si elle ne pouvait éviter de nous croiser.

J'espère pour elle qu'elle a jeté toutes les traces de notre mariage et qu'elle a réussi à faire comme si tout cela ne s'était jamais passé.
Malgré tout, je n'aimerais pas être elle.

28.7.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (2 : Tuesday self portrait)

"Le retardateur est particulièrement pratique lorsque vous voulez figurer sur l'image. Il vous suffit de le mettre en fonction et de presser sur le déclencheur. Vous avez alors 8 à 15 secondes pour prendre place dans le champ. Lorsque vous composez l'image dans le viseur, n'oubliez pas de vous réserver une place. Pour la prise de vue, placez l'appareil sur un support stable : table, poteau, rocher ou pied".
Guide de la photographie Kokak. (1983)

La lecture du jour : Le wagon à vaches de Georges Hyvernaud.

"Bourladou me demande souvent :
-Enfin, qu'est-ce que tu peux bien y foutre, dans ta chambre, tout seul, comme ça, des soirées entières ?
Parce que lui, Bourladou, dès qu'il ne parle pas à quelqu'un, il s'emmerde.
Ce que j'y fous, ça ne regarde pas Bourladou. Ni personne. J'y creuse mon trou. On a quand même bien le droit de creuser son trou.
-Je lis, tu sais, je travaille...
-Ah oui, fait Bourladou.
Creuser son trou dans l'épaisseur de la ville et de la nuit. Et s'y blottir, s'y gratter, s'y lécher, en attendant le sommeil et la mort.
Bourladou regarde des bouquins épars sur ma table, et se demande ce que ça peut bien être, mon travail.
-Si encore tu avais la radio, dit-il.
Pas besoin de radio. On n'a qu'à s'asseoir sur son lit. A rester là. A écouter le petit bruit obstiné que fait la vie.
(...)
Je fume. Je rêvoche à la vie des autres. Je bats et rebats des souvenirs comme les cartes d'une réussite. Et quand j'en ai assez de ma rêvacherie, je prends du papier et je me mets à tracer des mots. Une manie d'homme solitaire. S'asseoir devant du papier et tracer des mots. Il y en a qui découpent des journaux illustrés. Il y en a qui regardent des prospectus d'agences ou des cartes de géographie. Chacun ses plaisirs. Moi, c'est les mots. J'essaye, avec des mots, de faire apparaître des moments, des visages, des fragments d'existence. J'ai toujours eu ces goûts-là. Mettre des mots à côté des mots, sérieusement, soigneusement. En cherchant le plus court chemin d'un point à un point-virgule."

27.7.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (1 : le portrait)

"Les personnages ont des expressions naturelles lorsqu'ils se sentent à l'aise. Essayez de prendre vos sujets dans des positions détendues. Lorsque vos personnages ont quelque chose pour occuper leurs mains et retenir leur attention, vous pouvez obtenir de véritables portraits. Assurez-vous que votre modèle porte des vêtements qui lui plaisent et qui ne choquent pas l'oeil par leur couleur, leur manque d'harmonie ou d'élégance."
Guide de la photographie Kodak. (1983)

C'est elle encore qui, plus tard, eut la patience de couvrir ma tête d'innombrables petites nattes.
Mais, ce jour-là, elle ne m'en fit que deux, me ceignant le front d'un lien qui permettait d'y glisser une plume.
Ce jour-là, ce n'est donc pas ma coiffure qui requit tout ses soins mais le maquillage, la disposition des traits sur mon visage et, surtout, le choix des couleurs qui firent de moi la réplique très crédible d'un chef indien qu'elle s'empressa d'immortaliser.
Ce n'est qu'à l'issue de la séance de pose qu'elle s'aperçut que la pellicule enclenchée dans son appareil était un film noir et blanc.

26.7.09

L'heure universelle

Qu'on m'explique l'utilité des fuseaux horaires qui éloignent plus encore les amants déjà séparés par la distance...
Réglons une fois pour toute nos montres.

A quatre heures, il est earl grey pour le goûter ou rooibos pour distraire d'une insomnie.
A sept heures, il est oolong au soleil sur le balcon ou au jasmin pour s'accorder à la salade du dîner.
A dix heures il est fumé et corse la matinée ou vert au yuzu et acidule la soirée.
Le reste du temps, il peut aussi être mousseux macha au lait de soja.

Réglons nos montres, donc, sur l'heure universelle : l'heure du thé.

25.7.09

La langue universelle


L'interprète : Il est Russe.
La capitaine de police (trépignant, impatiente) : Oui mais bon, c'est universel, non ? Alors, qu'est-ce qu'il dit ?
En réalité non, enfin pas tout à fait. Même si, c'est vrai : la langue des signes est plus internationale que les autres.

24.7.09

La province


La matinée avait pourtant été ensoleillée et idéalement accompagnée. Les sobas parfaites et la conversation passionnante et passionnée.
Et puis.
Et puis il s'est mis à pleuvoir et, restée seule à Kamakura, j'ai soudain eu l'impression d'être dans une petite ville de province ennuyeuse et un peu étriquée...
Tokyo m'a manquée comme si je l'avais quittée depuis quelques jours déjà. Alors, aussitôt, j'ai repris le train avec le bonheur, incomparable, de rentrer chez moi.

23.7.09

C'est jeudi !


Madame Gâ est partie en vacances mais tous les jeudis de l'année, je sais où lui adresser mes courriers : la boîte aux lettres de nos jeudis fait aussi poste restante.

22.7.09

Le jour de l'éclipse

Le temps qu'il fait se fiche du temps qui passe : la météo n'a aucun souci ni de l'Histoire ni de nos histoires.
Dans nos vies, ces dates qu'on attend et dont on se dit que la réussite peut tenir au soleil -et pourtant, un orage a-t-il déjà gâché un mariage ?- alors qu'il est indifférent aux nuages que le jour soit historique.
Michi m'a dit qu'elle n'avait encore jamais vu d'éclipse, que celle-ci était la première de sa vie. Mais voilà, il faisait gris et la première fois n'a pas eu lieu.
Hier, Carol a gambadé dans la maison dans tous les sens. Mon mail était le premier qu'il recevait et il était plein de couleurs.
Quelques jours avant, j'avais accroché au mur le premier dessin qu'il m'avait envoyé.

Les jours d'éclipse sont rares. Ceux où l'ont vit une première fois le sont moins. Il vaut mieux ça.

21.7.09

Tuesday self portrait (la surprise)


...Quand mon appareil me photographie sans que je le sache.

20.7.09

L'été


L'été change les rizières en carrés d'herbe tendre que les chats trouveraient appétissante.
L'air est dense, pesant, saturé du chant assourdissant des cigales.
La lumière éteint le paysage, rend les contrastes aussi blessants que des objets tranchants.
Comme il est étrange de penser que le Mont Fuji, si proche en hiver, presque à portée de main au bout de l'allée, continue à exister même si, maintenant, il nous est totalement invisible...

19.7.09

L'emploi de son temps

Il est parfois fatigant, quand on n'a pas d'emploi du temps réglé à la minute, de réveil qui sonne tous les matins, d'heure de la messe le dimanche, d'heure de sortie d'école, de courses de la semaine à faire, de dossier urgent à finir le WE... Il est parfois fatigant d'avoir suffisamment d'imagination pour habiter chaque jour.
Les héroïnes des nouvelles d'Henry James n'ont pas ce problème-là. Ni aucun autre.
C'est dimanche et je corne négligemment les pages de mon édition pléiade. Et ce n'est pas parce qu'elles sont en papier bible que je commets un blasphème.

"Les femmes arrivent à tout loger dans leurs commodes petites têtes, exactement comme elles le font avec ces malles merveilleusement agencées qu'elles emportent en voyage. Je ne doute pas que cette jeune personne ne range soigneusement sa religion dans un coin, comme elle le fait de son bonnet des dimanches, afin de les ressortir l'un et l'autre le moment venu et de les essayer devant le miroir en soufflant dessus pour en chasser la poussière -strictement imaginaire, car quelle impureté de ce bas monde pourrait pénétrer à travers une demi-douzaine de couches de batiste et de papier de soie ?- et pour se dire : "Mon Dieu ! Quel bonheur d'avoir une religion si jolie et si propre pour le jour du Seigneur !"
Henry James. Un peintre paysagiste.

"C'était une belle femme, une femme falote, une dame accomplie. Elle avait pris la vie comme elle prenait son thé, qu'elle aimait léger, d'un arôme délicat, avec beaucoup de crème et de sucre. Elle n'avait jamais été de mauvaise humeur pour l'excellente raison qu'elle n'avait pas d'humeur. Elle n'était incommodée par aucune peur, aucun doute, aucun tourment de conscience, elle n'était nantie d'aucune certitude spirituelle. Elle avait de l'affection pour son fils, l'Eglise, son jardin, ses toilettes. Elle avait le meilleur goût, mais on peut dire que, moralement, elle n'avait pas d'histoire."
Henry James. De Grey, une histoire romantique.

18.7.09

Tout un art


"4/
Reprenons -
Il s'agit d'un projet d'écrire le baiser, le baiser du lundi, le baiser du mardi, le baiser du mercredi, le baiser du jeudi, le baiser du vendredi, le baiser du samedi, le baiser du dimanche, le baiser du monday, le baiser du tuesday, le baiser du wednesday, le baiser du thursday, le baiser du friday (ah taire), le baiser du samedi, le baiser du saturday, le baiser du sunday, le baiser de pluie, le baiser de minuit, le baiser de l'hiver, le baiser de midi, le baiser de Nantes, le baiser de Draguignan, le baiser de Strasbourg, le baiser d'Echirolle, le baiser de Montpellier, le baiser de Clermont-Ferrand, le baiser de Schiltigheim, le baiser d'Amien, le baiser de Creil , le baiser plénier, le baiser très plénier."
Un beau projet vu ici et qui mériterait d'être collectif.

17.7.09

Suicide collectif


Les filles étaient souvent jolies mais le jeudi -brushings et mises en plis- à voir leurs mères, leurs grand-mères, on pouvait douter qu'elles resteraient minces. Jolies à 17, 18 ans mais qu'elles profitent du jean taille basse car, à l'heure de la pause, barres chocolatées et chips au distributeur... Et les produits marrons -à tartiner ou à faire pétiller dans la bouche- aux recettes secrètes. Le jeudi, donc, jour des ascendances, on constatait que le temps n'altèrerait ni leur impitoyable accent ni leur incroyable gentillesse, que leur sourire resterait permanent mais que leur taille et leurs bras seraient épais. Mais les corps sveltes s'empoisonnent tout autant. Toujours cette question : les industriels donnent-ils à manger à leurs enfants les bombes à retardement qu'ils empilent dans les rayons des supermarchés ? Arômes artificiels, conservateurs, sel, colorants pour une vie plus rose. Mayonnaise. Qui a décidé ce suicide ? Poulets frits, sauces grasses, biscuits bon marché. La mort industrielle. La mort du goût. Un chagrin ? Un abandon ? Un succès ? Consoler ou fêter. Cautériser à la crème chantilly. Célébrer aux bonbons gélifiés. Une récompense colorée. La vie rose. Le bonheur la bouche pleine. Je devrais, alors, être plus malheureuse qu'une autre. Légumes du jardin, fruits à profusion, viande fraîche, poisson, habitudes prises bien avant l'avènement du surgelé : la pizza était maison. Et le fromage, ah le fromage ! Le rituel auquel on ne déroge pas : le marché, une fois par semaine et tôt, on est là pour remplir le panier. Les chips associés aux tomates, oeufs durs et morceaux de baguette molle, les pique-niques collectifs des départs en car, des cars emplis d'enfants. Classe de neige, centre aéré. Cette vie-là n'était pas pour moi, la vie en communauté, la vie à manger des chips. Au lieu de ça, je me demandais quel en était le genre. Déjà préoccupée par le lexique. On réglait la question en parlant d'eux au pluriel. Stupéfaction, plus tard, d'en voir sur une table, autour du poulet. Et toujours, à l'heure de l'apéritif, goût pizza, goût bacon, goût chili. Tout de même oui, ces discussions tard dans la nuit, au retour de la Métaphore ou de l'Idéal. Mise en scène et jeu d'acteur. Chips au vinaigre et bière blanche. Marks & Spenser, c'était les souvenirs de Londres, une brève sensation de dépaysement. Mais, bien avant la fermeture des magasins, le retour des légumes. Exit les chips. A vie. Pomme de terre, huile, sel, appelle-t-on ça une recette ? Ici goût wasabi, goût crevette, goût barbecue. Toujours les mêmes paquets -le sachet crisse- abandonnés sur les aires de pique-nique bien avant le trou dans la couche d'ozone et encore maintenant pas recyclables. Dans le train, le garçon est encore jeune. Habitué à manger sans conscience. Les dimanches de l'enfance, alterner l'assiette de nouilles sautées, le cornet de crème glacée -vite avant que tout ne fonde- les frites en plein soleil. Ce serait tellement dommage de priver les enfants d'un aussi grand plaisir. Plus tard, lampées de saké et une viande panée en trois bouchées. Cette capacité qu'ils ont à la manger froide. En sandwich également. Dans le train, le garçon est encore jeune et le sachet crisse sous ses doigts. 8H42. Ici non, on ne jette pas les emballages sur la voie. Non mais parfois soi.
Les suicidés ont-ils mangé au petit déjeuner ?

16.7.09

C'est jeudi !


Et, comme tous les jeudis, c'est avec Madame Gâ que je partage mon humeur du jour dans notre correspondance publique que vous pouvez lire ICI...

(Rappel des épisodes précédents pour d'éventuels lecteurs de fraîche date : Madame Gâ et moi avons bu des litres et des litres de thé, marché pendant des kilomètres et des kilomètres, nous sommes retrouvées dans de nombreux, très nombreux cafés et y avons passé de longues, très longues heures à parler... pendant les deux ans qu'elle a passés à Tokyo. A présent que nous sommes séparées, nous nous écrivons tous les jeudis et nous postons dans cette boîte aux lettres notre courrier public...)

15.7.09

Un jour heureux

150 grammes d'okara
100 grammes de flocons d'avoine
50 grammes de farine
levure
1 oeuf
1 banane écrasée
4 cuillères à soupe d'huile de pépins de raisin
1 cuillère à soupe de sucre roux
1 pincée de sel
quelques cerneaux de noix concassés
25 minutes de cuisson à 180°

Il ne restait plus de gâteau à l'heure de l'ouverture de la cafet'. Mais, heureusement, il y avait encore un peu de la confiture d'umeboshi de Yoshimi pour les régaler.

A travers les cris des mouettes, il a dit : "ça sent la mer !"
On aurait pu s'y croire, en effet.

14.7.09

Tuesday self portrait (loup)


"The truth is rarely pure and never simple".
La devise et les belles images de Sara Fanelli sont ICI.

13.7.09

La vie moderne

On atteint vite l'âge où on se met à parler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.
Notre ordinaire disparu est parfois l'indicateur le plus sensible de notre état civil.

Les numéros de téléphone à 8 chiffres.
Et même : à 6 chiffres.
Le Louvre sans pyramide.
Les voitures aux sièges sans appuie-têtes.

Il arrive vite le temps où on ressemble à des dinosaures aux yeux des plus jeunes qui, à leur tour...

Les téléphones à cadrans tournants.
Les picorettes.
Les tourniquets dans les jardins d'enfants.
Les gadgets dans les paquets de lessive.

C'est la vie moderne qu'on confond si volontiers avec le progrès.

Oui, j'ai vécu avant les fours micro-ondes.
Avant les magnétoscopes.
Avant les fers à repasser à vapeur.
Mais oui, je me coiffais sans l'aide de gel.

Tout cela est facile à dater.
Plus subtil est, en revanche, le moment où ce qui était luxueux devient ordinaire.

On peut dire à quel âge on a écrit nos premiers mails mais quand les connexions sont-elles toutes devenues à haut débit ?
Depuis quand les téléphones portables sont-ils tous équipés d'un appareil photo ?

Et en quelle année la direction assistée a-t-elle cessé d'être une option ?

12.7.09

Le refus de la banalité

"Je n'arrive pas à entendre que faire un travail qu'on n'aime pas pendant 40 ans, ça peut être ça la vie.
Je ne ferai rien dans ma vie que je ne veux pas faire. Je préférerai crever.
Donc je refuse tout ennui possible. S'il y a une chose sur laquelle je ne lâche pas, c'est la notion de banalité.
C'est là que je parle d'intégrité, de souveraineté.
Nécessairement, si on va vers ses désirs, sa propre poésie, on devient seul et c'est une solitude formidable : on devient unique.
Mais rien n'encourage à ça."

Une semaine d'entretiens avec Wajdi Mouawad est à écouter ICI.

11.7.09

Petit matin

"On trace un tableau dramatique du matin où le jeune homme accepta son destin. Le jour de l'exécution où il va servir d'aide à son père pour la première fois, celui-ci vient l'éveiller à l'aube en lui disant : "Lève-toi, c'est l'heure." On fait observer que "le futur bourreau est arraché au sommeil tout comme un condamné à mort."
Roger Caillois. Sociologie du bourreau.

(photographie : l'abattoir de André Abegg. 1967)
A 7H30 ce matin, la première théière de la journée est posée sur mon balcon. Par la fenêtre ouverte de l'appartement de mon voisin s'échappent les bruitages d'un jeu vidéo -fracas d'armes blanches, râles...-
Sans même réfléchir : Il s'éveille et va combattre. Les Hutus faisaient ça aussi. Non : ils tuaient sans combat.

10.7.09

9.7.09

C'est jeudi !


Je ne suis pas capable d'avoir tout le temps des idées lumineuses. Même si c'est jeudi. Même si j'écris à Madame Gâ.
Les mauvaises excuses de ma platitude sont à lire ICI.

7.7.09

L'homme fossile

Sur la terrasse du Tobu, il est là, invariablement. Les deux mains rigoureusement posées sur la table, la même tenue, toujours, les yeux fermés, au soleil, en plein soleil. Parfois une gorgée de thé. Une fois un sandwich.
Plus reptile qu'humain.

Ce jour-là, prendre l'ascenseur. Et quand les portes s'ouvrent, découvrir un étage méconnu à la place du lieu commun. Des restaurants, une immense librairie, des enseignes jamais vues.
C'est décidément Tokyo.
Cette impression, toujours, que varier de quelques mètres un trajet familier peut suffire à tout changer, peut faire pénétrer dans un espace parallèle.
Cette impression, toujours, qu'il suffit de peu pour entrer dans un roman de Murakami.

"Cet engin n'avait rien à voir avec l'ascenseur bon marché de mon immeuble, plutôt simpliste, du style seau de puits légèrement évolué. Deux appareils comme ceux-là ont tellement peu de points communs que l'imagination a du mal à concevoir qu'ils portent le même nom, possèdent la même structure, et aient été construits dans un but identique. Ces deux ascenseurs étaient vraiment aux antipodes l'un de l'autre, à une distance défiant les limites de la pensée.
Primo, question de largeur. L'ascenseur dans lequel je me trouvais était assez large pour y aménager un petit bureau confortable. Même en y mettant une table, des placards, un secrétaire, et en y installant une kitchenette, il serait sûrement encore resté de la place. Si ça se trouve, on aurait pu y faire entrer trois dromadaires et un palmier de taille moyenne. Secundo, question de propreté. Celui-ci était aussi propre qu'un cercueil flambant neuf, avec les murs et le plafond en acier inoxydable immaculé, le sol recouvert d'une épaisse moquette bouclée vert mousse. Tertio, il était mortellement silencieux."
Haruki Murakami. La fin des temps.

Tuesday self portrait (adolescente attardée)


"49% des lycéens français utilisent leur appareil photo numérique pour se prendre eux-mêmes en photo. Ce taux reste élevé pour les étudiants (38%), les célibataires actifs (33%) et les couples sans enfant (35%), puis s'effondre lorsque l'enfant paraît. La construction de l'identité constitue le moteur de l'activité photographique pour les jeunes générations, rôle que les sites communautaires confortent."
(Images magazine mars-avril 2009)

6.7.09

En compagnie de Montaigne

"Je trouverais plus supportable d'être toujours seul que de ne jamais pouvoir l'être."

De l'heure de pointe du matin dans la Yamanote au retour dans le jour couchant et les rues tranquilles d'Otsuka, cette phrase m'a trotté dans la tête.

5.7.09

Musique contemporaine


Il y a eu quelques notes.
La mélodie qu'elles ont fini par former m'a fait lever les yeux.
Ma voisine d'en face programmait sa machine à laver.
Ensuite, elle est rentrée chez elle, derrière sa fenêtre fermée et ses rideaux tirés, dans son appartement climatisé éclairé au néon.

Si j'étais compositrice de musique, j'écrirais une partition pour les machines à laver de mon quartier.

4.7.09

L'envers du décor


Alors c'était donc ça.
C'était ça dont on m'avait privée en me tenant enfermée pendant six heures chaque samedi.
Les odeurs sucrées des crèpes, les couleurs extravagantes des glaces, la foule tranquille et dilettante, la lumière douce qui effleure le décolleté, les enfants gourmands aux moustaches de crème, le vent délicieux qui rafraîchit les bancs, les petits chiens bien élevés qui se saluent en se croisant, le chat altier promené en laisse, le gobelet d'earl grey du car Wolkswagen, les rires, les poussettes, les pigeons, l'après-midi sans précipitation...
C'est à tout ça qu'il aurait fallu que je renonce...
Regretter n'est pas un verbe que j'ai pour habitude de conjuguer.
Jamais je ne l'utilise à propos de mes démissions.

3.7.09

L'intimité

Alors cet été-là, l'été de mes 19 ans, en partant en vacances pour la première fois avec le garçon que j'aimais, j'ai glissé dans mon sac Jules et Jim d'Henri-Pierre Roché.
Le long voyage en train corail mettait la Bretagne au bout d'une journée de voyage et la changeait en destination exotique.
Sur les routes de campagne, on chantait "coeur de loup" en tendant le bras, en levant le pouce, nos étapes n'étaient pas définies.
A notre arrivée dans les campings, on dépliait la tente et, au désespoir des voisins, on grillait quelques sardines.
Le jour, on étendait nos draps de bain sur les plages et, quand le soleil se couchait, on passait un pull, on marchait dans les vagues et j'écrivais des mots de Philippe Soupault sur le sable.
Partageant tout, on avait un livre pour deux et on le lisait ensemble. Ou, plutôt, on se le lisait, chacun notre tour.
Les jours passant, le garçon a commencé à délaisser le livre pour des châteaux de sable.
Et, au bout de deux ans, nous nous sommes lassés. Moi, de ne pas partager les livres que je lisais en l'attendant. Lui, de ne pas savoir me convertir à l'exercice physique.
Mon exemplaire de Jules et Jim garde les traces de cet été-là : couverture altérée par le soleil, pages cornées, grains de sable.
Mais moi aussi, j'ai été marquée par ça. Car, dans ma vie, la lecture est devenue indissociable de l'amour.

Au Japon, où l'on voit si rarement les gens s'embrasser, on devine qu'ils forment un couple à leur manière de lire.
Je les regarde dans les cafés où ils sirotent lentement une boisson glacée et partagent une part de gâteau en discutant avant de sortir, chacun, un livre de leur sac.
Et ils restent là, longtemps encore, côte à côte, silencieux mais tellement ensemble.

"Même au point de vue des plus insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun n'a qu'à aller prendre connaissance comme d'un cahier des charges ou d'un testament; notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l'acte si simple que nous appelons "voir une personne que nous connaissons" est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l'apparence physique de l'être que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l'aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n'était qu'une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous retrouvons, que nous écoutons."
Marcel Proust. Du côté de chez Swann.

Relire la Recherche du temps perdu en même temps qu'il la découvre, c'est un peu être avec lui, malgré la distance. C'est avoir mon épaule contre la sienne, c'est être intime.

2.7.09

C'est jeudi !


C'est souvent que Madame Gâ et moi, nous parlons cuisine.
Mais, aujourd'hui, dans la boîte aux lettres de nos jeudis, il est juste question de riz blanc.

1.7.09

La dette

C'était la première fois, depuis que j'en fréquentais pourtant très régulièrement les allées, qu'un satyre me poursuivait au Père Lachaise. Il pleuvait beaucoup ce jour là et sans doute n'avait-il pas trouvé d'autre public que moi.
Il pleuvait beaucoup alors j'avais acheté un parapluie. Le meilleur marché que j'avais trouvé était un exemplaire lourd et peu pratique dont la poignée unique soutenait deux tiges car il s'agissait d'un parapluie à deux places (l'une rose, l'autre bleue).
Je ne dédaignais aucun moyen de me faire remarquer et cela ne me déplut pas de passer mes déambulations à refuser à bon nombre de messieurs que je croisais leur proposition de m'accompagner.
La marche dans les rues de Paris était une habitude que j'avais prise précocement et, ce jour-là, je n'y dérogeai pas. Malgré la pluie, il ne me serait pas venu à l'esprit d'entrer dans un café, pas même pour y manger et je pense que, vers midi, j'avais dû avaler une banane ou quelque chose comme ça sans cesser de marcher.
J'avais 19 ans, une journée entière devant moi et, le soir, rendez-vous avec Catherine rue de Rennes, dans la boutique où elle travaillait pour le compte d'une célèbre décoratrice qui portait le même prénom qu'elle et estimait que le petit salaire qu'elle versait à mon amie était largement compensé par le fait de vendre des serviettes de table à Sabine Azéma ou Richard Berry.
Catherine avait 20 ans, logeait dans un studio avenue de Suffren où je dormis plusieurs fois. Elle ne savait pas encore ce qu'elle allait faire de sa vie au moment où elle renoncerait à l'emploi qu'elle occupait à ce moment-là. Elle s'intéressait au design autant qu'à l'architecture, à l'art, à la décoration.
Cette fille si tranquille, au visage un peu large et placide semblait ne pas souffrir à l'idée de passer inaperçue. Dès que je la rencontrai, je fus séduite par ce qu'elle irradiait de sérénité, de générosité et d'intelligence.
Sans qu'elle s'en rende compte, elle devint à mes yeux l'incarnation du bon goût absolu et j'absorbai tout d'elle.
Au musée Rodin, elle me parla de Camille Claudel, bouleversée qu'elle avait été par la biographie d'Anne Delbée. Elle m'emmena dans un restaurant japonais de Montparnasse où je goûtais les premiers sushis de ma vie. Elle me conseilla de lire Kundera après m'avoir détaillé sa théorie du kitsch. Et, parce qu'elle en portait, j'optai pour des cache-coeurs et de simples perles de culture aux oreilles.
Ce jour-là, donc, fatiguée, tout de même, par le poids de mon excentrique parapluie ainsi que par celui de mon appareil photo et des livres que j'avais achetés, ce n'est pas dans un café que j'allai me reposer mais dans une salle de cinéma. J'allai voir Jules et Jim qui passait en fin d'après-midi. Et, le soir, nous en avions longuement parlé car Catherine l'avait déjà vu.

Très peu de temps après, je ne vis plus Catherine qui ne travailla plus rue de Rennes et disparut de ma vie après une brève correspondance.
Je revis, en revanche, de nombreuses fois Jules et Jim.
L'autre soir, je l'ai regardé à nouveau. ça faisait longtemps.
J'ai été frappée de constater tout ce que je dois à ce film. Tout ce qui, de lui, est devenu ma vie. Tout ce qui, de lui, est devenu moi.