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20.12.08

Les balais de l'automne (8)

Avant de solder l'automne et de faire un grand ménage de printemps pour faire place nette à l'hiver...
Voici les derniers balais de la saison et quelques pages qui voudraient prouver qu'écrivain n'est pas un métier d'avenir...

"Mon fils écrit des poèmes, je n'y comprends rien. Il passe sa journée à écrire des poèmes, comme s'il n'avait rien d'autre à faire, il ne travaille pas, il ne lit pas, il ne voit pas d'amis, il écrit des poèmes et je crois qu'en plus ils sont très mauvais. Mon grand-père aussi avait beaucoup écrit de poèmes, et l'oncle Ferdinand, il faisait le tour de ses propriétés et écrivait des poèmes quand il ne chassait pas ou ne jouait pas du violon; c'était un être tyrannique. Mon grand-père et lui s'écrivaient en frères en vers ou en prose, ou en vers latins, mon fils ne sait pas le latin, il ne sait d'ailleurs rien qu'écrire des vers qui sont, selon toute probabilité, mauvais. Il ne travaille pas, il ne pense pas à son avenir, il n'écoute pas ses frère, il s'enferme et il écrit des vers comme s'il s'agissait là d'une occupation."
Ludovic Degroote. 69 vies de mon père.

"Nul ne peut t'empêcher d'écrire comme nul n'a pu empêcher Uncle Bandi de faire du tennis de table étant jeune, et même de devenir champion de Hongrie de tennis de table, mais encore faut-il, à l'exemple de Uncle Bandi, devenir effectivement champion, sinon à quoi bon écrire, et en tout cas cela ne dispense pas d'avoir un métier, un vrai, car il faut gagner de l'argent, qui ne tombe pas du ciel, qui ne vient pas plus sous la plume que sous la raquette, et il faut pouvoir offrir à soi-même et aux siens une vie décente, il y a même urgence car on ne sait jamais ce qui peut arriver."
Alain Fleischer. Quelques obscurcissements.

"Je n'ai que cinquante ans. Si j'arrête de fumer et de boire, ou plutôt de boire et de fumer, je pourrai encore écrire un livre. Des livres, non, mais un seul livre peut-être.
Je suis convaincu que tout être humain est né pour écrire un livre, et pour rien d'autre. Un livre génial ou un livre médiocre, peu importe, mais celui qui n'écrira rien est un être perdu, il n'a fait que passer sur la terre sans laisser de trace."

"Il n'a manifesté aucun remords, aucun regret, aucun repentir. Il n'a cessé de répéter : "il fallait que je le fasse, il fallait que je la tue, c'était la seule solution pour que je puisse écrire mon livre."
Les jurés ont estimé que l'on n'avait pas le droit de tuer quelqu'un sous prétexte que cette personne vous empêchait d'écrire un livre."
Agota Kristof. La preuve.

15.12.08

Les balais de l'automne (7)


Oui, décidément, l'automne est tendre avec nous et autorise les pique-niques avec vue sur le Mont Fuji ou, plus simplement, sur le balcon. Et, pour varier parfois de la couleur atone du tofu, c'est le jaune d'un oeuf que j'assortis à celui du kabocha.

"Je lui ai raconté très évasivement que Mme Bonny (qui est la mère de ma future copine et fait aussi office de dame de catéchisme à ses heures perdues) fabriquait des oeufs de forme carrée, à la grande joie de ses enfants et de son mari.
-Voilà, Maman, c'est un petit moule qu'elle a commandé dans le catalogue de la Redoute, un petit moule rouge et carré, qui réceptionne l'oeuf encore chaud mais décoquillé. Mme Bonny presse légèrement, attend quelques secondes, et en sort un oeuf d'une forme carré désopilante.
Je lui ai raconté rapidement que l'usage de ce moule donnait à la maison des Bonny une atmosphère très gaie, le temps de la laisser associer le visage du boucher à un oeuf carré, à des rires et au catalogue de la Redoute.
-Franchement, Maman, il est triste notre catalogue des 3 Suisses, il n'y a pas de fantaisie, tout est marron et besogneux. Tu n'as pas envie de rigoler un peu, de devenir une mère poule qui fait des oeufs carrés ?"
Anne Brochet. Si petites devant ta face.

Par ailleurs, même si je sais que l'automne est la paradoxale saison du grand ménage de printemps au Japon, entendre l'aspirateur de la voisine à 22H30 mais aussi dès 7H le lendemain matin me laisse perplexe...

"J'ai pris la direction du réfrigérateur.
Grossière erreur.
J'ai regardé dedans et je me suis dépêché de fermer la porte en vitesse quand l'espèce de jungle luxuriante qui était à l'intérieur a essayé de s'échapper. je ne sais pas comment les gens font pour vivre comme moi. Mon appartement est si sale qu'il n'y a pas longtemps j'ai remplacé toutes les ampoules de soixante quinze watts par des ampoules de vingt-cinq pour ne plus être obligé de voir tout ça. C'était un luxe, bien sûr, mais je n'ai pas pu faire autrement. Heureusement que l'appartement n'a pas de fenêtres, parce que alors là, j'aurais vraiment été dans la panade.
Richard Brautigan. Un privé à Babylone.

7.12.08

les balais de l'automne (6)

J'aime ça. Immergée dans les pages, je suis là où on me transporte.
En pleine campagne Suisse grâce à Ramuz, dans un pays en guerre dans Le grand cahier d'Agota Kristof, entre les couloirs de la fac et celui de l'appartement de la faiseuse d'ange, suivant les pas angoissés d'Annie Ernaux, dans une voiture dont les essuie-glace ne préservent pas des paysages boueux d'Olivier Adam.
Et quand je relève les yeux, le Japon me revient en bloc.
Il n'y a pas d'équivoque : le rouge des feuilles, les cuisses nues des filles en mini-jupes et bottes, les gobelets d'amazaké sur la table, les assiettes de curry ou les bols de ramen, les flancs d'une montagne à midi.
C'est comme être partie en voyage et rentrer chez moi.

"Il faut bien reconnaître que les graveurs japonais possédaient un savoir aujourd'hui oublié. Ils savaient qu'il n'existe peut-être pas de frontière aussi tranchée entre l'âme qui habite la boîte crânienne et l'esprit qui réside dans un arbre, dans les pétales de fleurs emportés par le courant turbulent du fleuve, dans la vue de la forme parfaite d'un mont couvert de neige et dans le retentissement particulier que suscitent l'arbre, le fleuve et la montagne dans le regard fugitif de l'observateur."
Jen Christian Grondahl. Bruits du coeur.

"Ce que je dois à Oe ? La révélation de la grandeur qu'il pouvait y avoir à ne pas se détourner de l'énigme insoutenable de sa vie. Cette vérité aussi : la douleur doit se faire douceur pour ne pas être abandonnée à la mort, à son cri silencieux.
Sans jamais renoncer à la lucidité de son intelligence critique, la vraie littérature doit questionner sans relâche, encore et encore, le lieu tendre de l'affection la plus vraie.
Ce que je dois à Tsushima ? La confirmation émouvante de ce que m'avait révélé l'oeuvre de Oe. La certitude qu'il n'y a jamais de point final au roman de sa vie, que celui-ci rayonne dans toutes les directions du temps, à la fois vers le passé le plus lointain et vers le plus incertain avenir. Cet encouragement aussi : ne jamais désespérer de ses rêves, les suivre en toute confiance jusqu'au point inouï où ils vous reconduisent vers le récit vrai de votre vie."
Philippe Forest. La beauté du contresens.

28.11.08

les balais de l'automne (5)


Et quand soudain, entre deux ciels immensément bleus, se faufile une journée de pluie qui alourdit nos pas et change les feuilles d'or des ginkos en écoeurante purée,

je m'en console avec un bol de macha et les mots d'un poète. Et je pourrais formuler le même voeu que lui.

"Quelquefois, je passe devant de petites boutiques : dans la rue de Seine, par exemple. Ce sont des antiquaires, de petits bouquinistes ou des marchands d'eaux fortes aux vitrines trop pleines. Jamais personne n'entre chez eux, ils ne font apparemment pas d'affaires. Mais si l'on y jette un coup d'oeil, on les voit assis, toujours assis, lisant et insouciants. Ils ne songent pas au lendemain, ne s'inquiètent d'aucune réussite. Ils ont un chien qui est assis devant eux et frétille de bonne humeur, ou un chat qui agrandit le silence en se glissant le long des rangées de livres, comme s'il effaçait les noms du dos des reliures.
Ah ! si cela pouvait suffire : je voudrais quelquefois m'acheter une de ces vitrines pleines de choses, et m'asseoir là derrière, avec un chien, pour vingt ans."
Rilke. Les cahiers de Malte Laurids Brigge.

"Rien d'autre, oui, si ce n'est l'amour. Et comme l'écrit un poète, tout le reste m'est feuilles mortes."
Philippe Forest. Le nouvel amour.

19.11.08

Les balais de l'automne (4)


Hier, j'ai commencé la journée en lui écrivant que je n'avais pas envie de ma semaine, que tout avait des allures de corvée et que je n'avais de l'entrain pour rien, pas même pour aller chez le coiffeur...
Et puis...
Et puis, j'ai relu Perec, ce texte de L'infra-ordinaire et ça m'a donné le courage et l'envie de voir mes journées à venir autrement. Et, comme le soleil s'en donnait déjà à coeur joie, j'ai empoigné mon pola et, avant toute autre chose, j'ai commencé par épuiser, dans les premières heures de la matinée, quelques pellicules d'instantanés et me brûler les mains autour d'un gobelet de thé à Ikebukuro .
Ensuite, tout est allé mieux : j'ai renoncé à hiberner et j'ai traversé toute la journée avec plus de légèreté.

"Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m'ennuient, ils ne m'apprennent rien; ce qu'ils racontent ne me concerne pas, ne m'interroge pas et ne répond pas davantage aux questions que je pose ou que je voudrais poser.
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, l'infra-ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le décrire ?
Interroger l'habituel. Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas, il ne nous interroge pas, il semble ne pas faire problème, nous le vivons sans y penser, comme s'il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même plus du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est-elle, notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?
Comment parler de ces "choses communes", comment les traquer plutôt, comment les débusquer, les arracher à la gangue dans laquelle elles restent engluées, comment leur donner un sens, une langue : qu'elles parlent enfin de ce qui est, de ce que nous sommes.
Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique.
Interroger ce qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié l'origine. Retrouver quelque chose de l'étonnement que pouvaient éprouver Jules Verne ou ses lecteurs en face d'un appareil capable de reproduire et de transporter les sons. Car il a existé, cet étonnement, et des milliers d'autres, et ce sont eux qui nous ont modelé.
Ce qu'il s'agit d'interroger, c'est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner. Nous vivons, certes, nous respirons, certes; nous marchons, nous ouvrons des portes, nous descendons des escaliers, nous nous asseyons à une table pour manger, nous nous couchons dans un lit pour dormir. Comment ? Où ? Quand ? Pourquoi ?"
Georges Perec. L'infra-ordinaire.

12.11.08

les balais de l'automne (3)


L'heure du coucher sent à nouveau les noyaux de cerises, quand la bouillotte tourne sur le plateau du four.
C'est l'automne qui fait alterner les jours doux ensoleillés et les banderilles froides de la grisaille.
C'est l'automne et il m'arrive de vaciller : aurai-je le courage de traverser cet hiver en attendant le mai le joli mai ? A d'autres moments, tout me parait pourtant si beau et tout aussi évident.
Alors, pour résister à tout, je verse de l'eau chaude sur le jus d'un citron, je m'enroule dans mes plaids et mes écharpes, je demande à Miles Davis de me rejouer "I thought about you" et je glisse quelques feuilles d'arbres épargnées par les balais entre les pages de mes livres dont les mots sont des talismans.

"Je pensais à tout ce qu'on ne pouvait saisir -les reflets de la lumière sur l'eau faisant comme des cristaux, la course des nuages, la naissance de l'aube. Je pensais à tout ce qui a de la valeur à défaut d'avoir des mots. Le langage ne pouvait tout couvrir et j'y voyais la raison de sa beauté. Je pensais au silence comme à une défaite. Il fallait baisser nos armes et embrasser la terre qui nous portait. Je pensais que le monde m'avait encore ouvert une petite porte sur la liberté. Je n'avais pas de la chance, j'avais ma chance. Je comparais l'existence à une lave chaude et dorée, coulant sous nos peaux, nous rendant sacrés. Je n'avais plus peur de perdre mon amour. Il me semblait posséder déjà un passé qui formait un rempart au danger. Nous n'étions pas uniquement en vie, nous étions à l'intérieur de la vie, dans ce qu'elle avait de plus beau et de plus incertain, de plus fragile et de plus puissant."
Nina Bouraoui. Appelez-moi par mon prénom.

5.11.08

Les balais de l'automne (2)

Contrairement aux feuilles de l'automne que l'on entasse dans les caniveaux, les pages qui s'accumulent sur ma pile de livres à lire ne sont pas mortes.

"Pendant toute cette période, Kenzô fut vraiment accablé de travail. Même de retour chez lui, il n'avait aucun moment à lui. Il y avait tant de livres qu'il voulait lire, tant de choses qu'il voulait écrire, tant de questions auxquelles il voulait réfléchir ! Aucune parcelle de liberté ne lui était laissée et il ne connaissait pas de répit.
Il passait son temps devant sa table de travail et ne sortait jamais pour se distraire.
Un jour qu'un ami lui avait conseillé d'apprendre à réciter des textes de nô, il refusa catégoriquement mais s'étonna que les gens aient tant de temps alors que lui n'en avait pas.
Il ne se rendait pas compte que son attitude vis à vis de son temps finissait par ressembler à celle d'un avare vis à vis de son argent.
Sôseki. Les herbes du chemin.

29.10.08

Les balais de l'automne (1)


"le temps est gris mais le soleil brille dans mon coeur. Le jour s'est levé. Dans les champs qu'enveloppe la brume d'automne, les chasseurs tirent des coups de fusil sur tout ce qui bouge. C'est la saison des marrons et des faits divers. Je devrais tous les matins acheter Sud-Ouest pour faire une collection de meurtres de chasseurs par d'autres chasseurs. Les chasseurs, c'est comme les champignons. Ils ont beau se tirer dessus, il en reste toujours."
Emmanuel Hocquard. Ma haie.

Sans avoir l'âme d'une collectionneuse, j'enferme, depuis quelques temps, de nombreux balais dans un placard de mon disque dur.
Après les les cartes postales de l'été, voici donc une nouvelle série : de quoi ramasser les feuilles mortes (ou ce qu'on pourrait prendre pour tel).