30.9.08

Tuesday self portrait (du côté de Guermantes)


Dimanche 28 septembre 2008. 4H46 en temps universel. Page 1389. Et c'est ici.

29.9.08

Le jour du poisson

(... puisque, depuis la semaine dernière, mes jours ont un nom...)

En plus de son nom, le poisson a donné sa couleur écarlate à ma journée.
Et la caresse de ses nageoires sur le fond de son bocal m'a donné des envies de robes de bal.

28.9.08

Le questionnaire

Le ciel gris d'aujourd'hui date d'hier.

Le ciel s'est couvert d'ardoise à l'heure où, en terrasse dans la forêt du Meijijinja, j'ai répondu aux questions qu'ils étaient quatre à me poser.
"Avez-vous déjà marché dans Shinjuku ?"

La canette de thé chaud m'a rappelé celle que j'avais bue un heureux dimanche d'hiver dans les rues de Yanaka.
"Quel genre de personne haïssez-vous ?"

A la table voisine, un couple a déballé des biscuits Glico. De ceux que je n'ose plus manger maintenant de peur de m'apercevoir que je ne les aime plus.
"Quels sont les points positifs et négatifs de votre pays d'origine?"

Je n'ai pas su identifier la langue asiatique que parlaient les garçons entre deux gorgées de Coca qu'ils buvaient dans des bouteilles en verre.
"Avez-vous un amoureux ?"

"Vous avez des questions à nous poser ?"

Après leur départ, j'ai continué à lire sous ce ciel de rentrée des classes.

"Bon, qu'est-ce que je vous disais ? ça n'est pas facile de vous raconter une histoire, à vous... Ah, oui, que j'ai été plongeur. J'habitais une maison de verre sous la mer, avec un collègue belge, un poète qui prétendait avoir eu le prix Nobel. Rien que ça. On avait un élevage de poissons-lunes.
-Et vous en faisiez quoi ?
-Des lampes, bien sûr. A ma connaissance, personne n'a jamais réussi à faire autre chose avec les poissons-lunes. Des tam-tams, on a essayé, mais... c'est trop piquant."
Olivier Rolin. La langue.

27.9.08

Un bol de saison


Le faites-vous aussi ?
Au supermarché, je regarde de quoi les gens emplissent leur panier et je tente d'inventer la vie qui va avec leurs courses.
Moi, une fois que j'ai fait le tour des rayons des dérivés de soja -lait, tofu, natto- je ne trouve plus quoi y ajouter et les envies des autres -croquettes, yakisobas surgelées, yaourts sucrés, paquets de pain de mie, fines tranches de viande- ne sont pas les miennes.
Mais j'aime l'automne qui assortit à la base blanche de mes repas les teintes fruitées, vitaminées et doucement orangées de ses agrumes, ses ananas et ses kakis.
L'autre soir, j'ai ajouté trois cubes de kabocha à la banane que je mêle à mon tofu matinal.
Et je me suis couchée dans l'impatience du petit déjeuner, la hâte de plonger une cuillère gourmande dans la saveur colorée du mélange onctueux.

26.9.08

Revoir les lotus à Ueno

Il est si simple de passer une journée à Ueno.

A l'heure du gâteau pomme/cannelle, la terrasse est encore à l'ombre. Mais il nous faut, ensuite, nous protéger de la chaleur sous la glycine.

Les lotus ont vieilli et leur coeur recèle des graines dissimulées comme des pierres précieuses.

Nos rendez-vous durent trois heures mais nos conversations pourraient se poursuivre bien au-delà.

Nous parlons des enfants (en avoir ou pas), de ce que certains voudraient leur faire croire ("tu verras, quand tu seras grand"), de divers métiers d'avenir qui vont bien ensemble et peuvent s'exercer simultanément (jardinier, cuisinier, étaleur de confiture, vagabond), des amours enfantines qui devraient avoir le droit de rester secrètes et dont on se souvient, des hasards dont on sourit (ce garçon qui, le premier, monopolisa mes pensées de petite fille portait le même prénom que l'homme qui, à présent, fait battre mon coeur)...
Nous collons un sticker dans nos agendas, à la date de notre prochain petit déjeuner.

Plus tard, je reviens près des fleurs et, dans le sac au bout de mon bras, se balance la découverte merveilleuse du jour : le warabi mochi au macha.

Et, puisque la cafet est ouverte, je m'y installe quelques heures.
Le sirop de fraise versé sur la glace pillé ressemble à du sang sur la neige.
La conversation des deux amies fait écho à celle du feuilleton à la télévision.

Lors de la coupure de pubs, j'écoute les refrains, je pense à ceux qui rythmaient mon enfance ("MV, M comme un maroquinier, V comme voyage" et "hello, le soleil brille brille brille" qui m'a fait connaître tôt la musique du Pont sur la rivière Kwai).
A la question "et qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand(e) ?", sans doute qu'aucun enfant ne penserait à répondre : "je veux tenir un café de rien au milieu des lotus, ramasser les feuilles sur le seuil et suivre distraitement le feuilleton de l'après-midi pendant que le soleil dessine des ombres nostalgiques sur les lézardes du sol en ciment.

Et pourtant... quel beau métier...

25.9.08

C'est jeudi !


C'est jeudi et c'est ici que je parle à Madame Gâ de mon goût pour les oeufs et d'autres faits tout aussi édifiants...

24.9.08

Sous le ciel de Kôbe


C'est comme si, dans l'espace des avenues larges, le ciel respirait mieux.

La ville est ordinaire au ras des trottoirs.

Une ville de province charmante et désordonnée, un peu gamine et toujours gaie.

Mais qui, quand on lève un peu les yeux, se métamorphose en décor de carton en deux dimensions.

Comme une toile sans fin aux aplats colorés, superposés.

Kôbe est un rêve de peintre.

23.9.08

Tuesday self portrait(s) (jamais seule à l'heure du thé)

Un auteur dans chaque café. Et, ce n'est pas rare : des livres sur les murs.

"J'ai commencé par de petites choses, radis, crayons, petits mammifères. Puis j'ai congelé mes proches et les arbres du jardin. Mais tandis que me voilà à tirer, pousser vers le congélateur une chaîne de volcans afin de pétrifier une bonne fois les débordements tragi-comiques du magma bouillonnant sur les paisibles campagnes et sur les lacs, et alors que tout le reste de ce docile paysage s'avance d'un cran et remplace aussitôt chaque meuble jeté par-dessus bord, l'angoisse m'envahit soudain. Observant du coin de l'oeil cette file postée devant les bacs du congélateur et qui s'organise en campement pour la nuit après une longue journée d'attente obstinée mais courtoise, la question me tracasse horriblement de savoir qui à la fin fera avec douceur le noeud de mon propre sac de congélation sans me tirer les cheveux, m'installera dans un confortable recoin et rabattra la porte. Se pourrait-il que celui qui rend de tels services n'ait pourtant jamais droit à une immobilité bien méritée ? Se pourrait-il que je n'aie plus alors qu'à tourner en rond pour le reste du temps autour d'un congélateur tenant au frais le monde entier ?"
Emmanuelle Pireyre. Congélations et décongélations et autres traitements appliqués aux circonstances.


"On regardait ensemble la devanture du libraire de la place des Belges, parfois elle proposait "veux-tu que je t'en achète un ?". Pareil qu'à la pâtisserie, devant les meringues ou les nougatines, le même appétit, la même impression aussi que ce n'était pas très raisonnable. "Dis, ça te ferait plaisir ?" C'est le libraire forcément qui conseillait, choisissait, la seule différence avec les gâteaux, à part Delly et Daphné du Maurier, elle n'était pas calée. Ca sentait le sec, une poussière fine, agréable. "Donnez-le à ma fille", disait-elle avant de payer. Elle me promettait pour plus tard un beau livre, Les Raisins de la colère et elle ne voulait ou ne savait pas me raconter ce qu'il y avait dedans, "quand tu seras grande". C'était magnifique d'avoir une belle histoire qui m'attendait, vers quinze ans, comme les règles, comme l'amour. Parmi toutes les raisons que j'avais de vouloir grandir il y avait celle d'avoir le droit de lire tous les livres."
Annie Ernaux. La femme gelée.


"-Le piano -depuis cette nuit il me rappelle qu'il y a des choses que je n'aurai plus le temps de faire."
Il ferma les yeux, comme toujours quand il voulait prévenir une objection muette de ma part. "Il ne s'agit pas d'insignifiantes petites joies et de plaisirs fugitifs, comme lorsqu'on avale un verre d'eau par une chaleur torride et poussiéreuse. Il s'agit de choses que l'on souhaite faire et vivre parce qu'elles seules permettront à votre vie, cette vie très particulière, de former un tout et parce que sans elles la vie resterait incomplète, une statue inachevée ou un simple fragment."
Patrice Mercier. Train de nuit pour Lisbonne.

Au café des quatre saisons,en revanche, à défaut de savoir déchiffrer mon avenir dans les feuilles de thé, je me contente de lire ma tasse.

22.9.08

Au fil du temps

La veille, le ciel était immense et les nuages y pavanaient, étendards blancs dans tant de bleu.
C'était l'été sur la mer et les rêves de cuisine chinoise et de chambre avec vue.
C'était échanger quelques mots en français et prendre le carton d'une expo photos avant de quitter les lieux.
Puis retrouver la rue, penser à autre chose et aller manger du pain au miel.

Le lendemain, le ciel était encore bleu parce que c'était la couleur du parapluie.
C'était dimanche, c'était enfiler des manches sur notre été, laisser le garçon à la maison faire le ménage dans sa tête, construire de nouveaux rayonnages de livres dans sa vie intérieure. Et descendre avec l'enfant aux cheveux courts vers Tarumi.
Elles sont belles aussi, ces journées où le gris uniformise les heures qu'on oublie. Et où on fait ce que, la veille, on a remis au lendemain.

Il n'était, somme toute, pas compliqué de retrouver les petites rues et monter au troisième étage qui n'attendait que nous.
J'ai reconnu les photos en les voyant accrochées. Le livre, en France, m'avait tant plu.
Patrick Taberna expose "Au fil des jours" au tantotempo café de Kôbe.
Et ses photos sont intimistes et émouvantes comme un jour de gris qu'on passe entre des murs blancs, à griffonner sur un cahier, retirer de la bibliothèque de beaux livres d'images, boire du thé ou un ginger ale, nourrir l'enfant, manger des sablés et parler, parler encore et oublier que, le soir, il faudra prendre le car pour rentrer...

Et, au bout des heures, être seule à l'heure du thé.

21.9.08

Traversée



20.9.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (13)

"Ce matin mon oeil est sûr d'avoir aperçu, sur sa trajectoire vers le grille-pain, un cheveu flottant à la surface du thé au lait. Lorsque le regard revient fixer le bol, il a disparu. Les cheveux coulent, donc ? Je bois à petites gorgées, lèvres serrées, en louchant dans le cercle de porcelaine. Lorsque le fond apparaît, il n'y a pas de cheveu, juste une calligraphie japonaise, heisei, qui veut dire calme, paix, sérénité, et qui aujourd'hui me le dit de très près."
Béatrice Rateboeuf. Heisei.
Aujourd'hui, c'est depuis Kôbe que je vous envoie une des dernières cartes de l'été. A Kôbe, où le mot heisei prend tout son sens.

Nous faisons le Sénégal. Fatigués mais enthousiastes. Le seul problème, c'est la bouffe. Avons visité une plantation de bananes. On sera à Paris le 30.

19.9.08

Le voyage lent

Le livre commence à Berne sur un pont au-dessus de l'eau noire.

Et puis, dans les toutes dernière pages, il y a un train qui traverse plusieurs frontières, dans la nuit.
"Elle avait choisi ce train lent parce qu'elle voulait lire ce livre. Le Silence du monde avant les mots. Elle ne lisait nulle part aussi bien que dans le train. Nulle part elle n'était aussi réceptive à la nouveauté d'un livre. Aussi était-elle devenue experte en trains lents.
(...) Tandis qu'il dormait, la femme avait éteint la lumière du plafond et allumé sa petite lampe de lecture. Elle lisait et lisait."
Pascal Mercier. Train de nuit pour Lisbonne.

J'ai achevé ce roman avant de monter dans le car de nuit, avant de commencer mon voyage lent vers Kôbe.
Alors, dans mon sac, j'ai glissé un autre livre (La femme gelée d'Annie Ernaux), une revue (XXI) et une lampe de poche, mon iPod qui garde en mémoire quelques émissions de radio, du thé oolong et du lait de soja. Mais aussi des boules Quiès, un pull et un oreiller parce que, entre 22 heures et 6 heures le lendemain, je ne tenais pas à passer une nuit blanche.

18.9.08

C'est jeudi !


J'aime savoir que certain(e)s d'entre vous me transportent en pensée dans leurs voyages.
Elise m'a dit, en me croisant à Omotesando, qu'elle avait photographié les boîtes aux lettres du Japon.
Quant à Rita, de retour des îles de toujours, des îles fondatrices, elle m'envoie ce jaune éblouissant et très estival que je transforme en
boîte aux lettres du jeudi et dans laquelle je glisse un aperçu de mon arrière-saison pour Madame Gâ.

17.9.08

Edith, Martin, Victor et cie

L'autre jour, ils lisaient tous quand je suis arrivée au café Bousingot. C'est souvent, dans les cafés, c'est banal et, d'ailleurs, moi-même, je venais un peu pour ça.
Ils lisaient tous, y compris le couple assis près de la fenêtre, installé dans cette intimité qui permet cela : lire ensemble.
Le café Bousingot se prête à la lecture : les murs sont couverts de bibliothèques et les livres sont à vendre.
Ils lisaient tous et c'était calme comme un dimanche après-midi.
Et, comme souvent, je me suis demandée ce qu'il y avait dans leurs pages à eux : Heidegger ?? Anaïs Nin ?? Akiko Itoyama ??
C'était une atmosphère propice à la lecture, donc.
Sauf pour moi.
Il aurait fallu, pour cela, quelques conversations un peu animées qui auraient noyé la musique.
Car c'était Edith Piaf qu'on avait chargée de la bande son, cet après-midi-là.
Et moi, je n'étais pas capable de faire abstraction de sa voix, de ses mots, du sens des mots pour me concentrer sur mon livre.

Un autre jour, c'est au café Pause que je suis allée pour finir mon livre.
Là, le parquet est sombre et usé et ce ne sont pas des livres qu'on peut acheter mais des revues et des tee-shirts.
La musique n'y est pas française : c'est du bon jazz. Les fauteuils y sont bas et le thé au caramel tient ses promesses.
L'ambiance était bruyante. C'était l'heure des cheese-cakes et des gâteaux au chocolat, des conversations amicales et des rires spontanés.
Seul mon voisin a sorti son livre. Et, pour une fois, j'ai su ce qu'il était en train de lire car c'est souvent que le titre figure en version originale sur la couverture des livres traduits.
Alors, j'ai essayé de m'imaginer à sa place. J'ai transposé tous ces mots qui s'entrechoquaient, imaginé tout ce bruit, cette ambiance de hall de gare dans ma langue.
Et je ne suis pas du tout sûre que j'aurais été capable, moi, de lire comme il le faisait, de lire Les Misérables dans ces conditions.

16.9.08

Tuesday self portrait


"Je demande à la jeune coiffeuse qui s'occupe de moi : "Est-ce que vous aimez lire ?" Elle répond : "Oh ça ne me dérange pas de lire mais je n'ai pas le temps".
("ça ne me dérange pas", de faire la vaisselle, la cuisine, travailler debout, l'expression pour dire qu'on est capable de faire tranquillement des choses pénibles. Lire peut donc en faire partie.)"
Annie Ernaux. Journal du dehors.

15.9.08

Une nuit de pleine lune (une liste non exhaustive)


Fredonner des mélodies frivoles. Marcher dans les rues aux vitrines éclairées. Danser. Aller jusqu'à la gare. Hésiter sur une destination possible et, finalement, se contenter de boire un jus de fruit en regardant les voyageurs sortir. Ecrire "mon amour" en haut d'une page et savoir qu'on a la nuit pour écrire la suite. Danser. S'asseoir près de la bibliothèque, en sortir quelques livres pour en relire quelques pages, quelques mots. Changer les photos accrochées sur le mur. Se résoudre à faire la vaisselle. Aller acheter de la moutarde. Envoyer un mail aux amis à qui on pense. Danser. Regarder la météo du lendemain. Et de la fin de la semaine. Chanter en français, en anglais, en yaourt, en japonais. Mixer un bloc de tofu et une banane, ajouter une cuillère de purée d'amande, mettre au frais. Danser. Penser à la partie de la terre où il fait encore jour. Danser. Faire défiler des photos des jours heureux en diaporama. Aller payer la facture de gaz. Remettre au lendemain ou à la semaine prochaine le nettoyage de la tache de miso sur la moquette. Danser. Allumer un bâton d'encens acheté au temple, près du restaurant de soba. Improviser un petit dialogue, par mail, entre deux portes. Nommer les photos qu'elle m'envoie ("en famille sur le trottoir", "des moustaches de glace", "chapeau !", "jolie tarte au citron, jolie vaisselle", "le croissant") avant de les glisser dans un dossier. Lire Le Monde des livres. Danser. Redécouvrir un sachet de yogi tea en cherchant autre chose dans la cuisine. Faire chauffer de l'eau.
Regarder l'heure.
Aller se coucher.

Ma radio des pleines lunes saura-t-elle inspirer quelques unes de vos nuits ???
(Cliquez en haut à gauche pour le savoir... et me le dire)

"Ces chansons seront toujours liées à M. comme d'autres le sont pour moi à d'autres hommes, pour lui à d'autres femmes. On devrait avoir une grande jalousie des chansons. Il suffit que j'entende l'une d'entre elles par hasard, dans un centre commercial, un salon de coiffure, pour me retrouver transportée, non dans un jour précis, mais dans une durée où les variations du ciel et de la température, la diversité des événements du monde, la répétition des parcours et des actes quotidiens, du petit déjeuner à l'attente sur le quai du métro, se sont fondus, comme dans un roman, en une longue et unique journée, froide ou brûlante, sombre ou lumineuse, colorée dans une seule sensation, celle de bonheur ou de malheur.
Aucune photo ne rend la durée. Elle enferme dans l'instant. La chanson est expansion dans le passé, la photo finitude. La chanson est le sentiment heureux du temps, la photo son tragique. J'ai souvent pensé qu'on pourrait raconter toute sa vie avec seulement des chansons et des photos."
Annie Ernaux. L'usage de la photo.

14.9.08

Un dimanche matin à Tokyo

D'habitude, il y a les voitures qui roulent dans l'eau qui a lavé le camion du transporteur de baleine. Les journaliers qui viennent chercher les canettes dans la poubelle du distributeur et les plient méthodiquement. Les portes qui battent en s'ouvrant, les pas pressés qui résonnent aussitôt après dans la rue. Les conversations matinales. Les sacs plastiques qui bruissent quand ils sont jetés sur les autres poubelles. La voix féminine qui avertit qu'un camion va changer de direction.
D'habitude, il ne faut pas s'éveiller après 5H30 si on veut surprendre le silence de la rue.

Le dimanche ne commence pas comme les autres jours.
Avant même d'ouvrir les yeux, on ne s'y trompe pas. La rue se tait. Puis, doucement, s'éveille.
Des couples passent, le bruit des talons assorti à celui de chaussures masculines. Des rires. Et, quand je les regarde, je vois les mains mêlées, la démarche alanguie. Je sais qu'ils ont opté pour le tarif "stay" d'un des love hôtels de la rue.
Tôt, assez tôt, le bourdonnement des machines à laver sur les balcons est suivi des trois bips qui signalent la fin de l'essorage. Alors les moustiquaires coulissent le temps d'accrocher le linge aux pinces des séchoirs.
Plus tard, les coups donnés sur les futons qu'on aère.
Une voix qui chante dans une langue qui ne m'est pas familière.
Une autre : "alors c'est ici que tu habites ? -Ben oui, tu vois." Et un temps avant de réaliser : mais, ils parlaient français !
Plus tard aussi, des parfums de cuisine.

Le dimanche ne commence pas comme les autres jours.
Ce matin, mon petit déjeuner a le goût d'une crème au macha et de dangos au kinako.

Il y a, cependant, des invariantes :
la théière transportée sur le balcon est emplie de Pu Er.
Et un livre m'accompagne.

"Gregorius fit ce qu'il avait toujours fait quand il était indécis : il ouvrit un livre. Sa mère, fille de paysans du Mittelland bernois, avait rarement pris un livre en main, tout au plus une fois un roman régional de Ludwig Ganghofer, et elle l'avait lu pendant des semaines. Le père avait découvert la lecture comme moyen de vaincre l'ennui dans les salles vides du musée, et quand il en eut pris le goût, il lut tout ce qui lui tombait sous la main. "Maintenant tu te réfugies toi aussi dans les livres", avait dit la mère quand son fils découvrit à son tour la lecture. Cela avait fait mal à Gregorius, qu'elle vît cela ainsi et qu'elle ne comprît pas quand il parlait de la magie et de la force éclairante que possédaient les bonnes phrases.
Il y avait ceux qui lisaient et il y avait les autres. On remarquait vite si quelqu'un était un lecteur ou non. Il n'y avait pas de plus grande différence entre les hommes. Les gens s'étonnaient quand il affirmait cela, et plus d'un hochait la tête devant tant de bizarrerie. Mais c'était ainsi. Gregorius le savait. Il le savait."
Pascal Mercier. Train de nuit pour Lisbonne.

13.9.08

Deux cent quarante-trois cartes postales en couleurs véritables (12)


Tous les matins, le soleil s'éveille dans mes draps.
Avant de le rejoindre sur le balcon, j'attends que le thé infuse et je prépare le plateau du petit déjeuner.
A la théière, au tofu ou au gâteau du jour, j'ajoute un livre.
Celui du moment est une masse de 500 pages joyeusement intelligentes : Ma haie d'Emmanuel Hocquard.

Vous l'avez compris, il est encore de saison, ici, de vous poster une carte postale de vacances. Mais, au rituel message d'amitié de Georges Perec, je joins un extrait des pages du balcon.

"Contrairement aux jeunes renards, par exemple, les petits d'homme et les petits choucas ont ceci en commun qu'ils ne savent pas peindre de naissance. Tout comme les petits choucas, les petits d'homme sont obligés d'apprendre à peindre, de même qu'ils doivent apprendre à parler, à écrire, à tenir une fourchette et à lacer leurs chaussures. Faute de quoi, ils restent niais toute leur vie.
Il semblerait, de prime abord, que dans la distribution des caractères innés, la nature ait nettement défavorisé les petits d'homme et les petits choucas. La nécessité où ils se trouvent de presque tout devoir apprendre après leur naissance peut apparaître comme un sérieux handicap, générateur d'une considérable perte de temps, que déplorait déjà René Descartes. En outre, à cette première inégalité de départ vient s'en ajouter une autre : alors que les jeunes brochets nagent tous de la même manière sans avoir pris de cours de natation, que les poulets du monde entier traversent les routes sans regarder dès qu'ils sont en âge de le faire, que tous les ours volent spontanément du miel, les petits d'homme et les petits de choucas non seulement sont condamnés à acquérir leur savoir à la sueur de leur front mais leurs efforts ne sont pas forcément couronnés par les mêmes lauriers. Autrement dit, tout apprenti peintre ne devient pas Caravage.
Naître petit d'homme ou petit de choucas comporte cependant quelques avantages. Ces avantages peuvent se résumer par la même vigoureuse formule : tout apprenti peintre ne devient pas automatiquement Caravage. Parce que les petits hommes et les petits choucas jouissent, dans l'exercice de leurs facultés intellectuelles et sensibles, d'une liberté qui semble faire défaut aux poulets et aux ours."
Emmanuel Hocquard. Ma haie.

On vadrouille dans les îles grecques. Qu'est-ce qu'on se tape comme oursins ! Les gens sont vachement gentils avec nous. Youpi ! Et dire qu'il va falloir rentrer !