31.5.09

L'heure anglaise (10)

La ville est verte.
Ce n'est plus le vert frais et tendre du printemps.
C'est un vert dense et profond, le vert mousson.
Le vert tropical et oppressant de la saison des pluies qui s'annonce et qui change le soleil en ennemi lorsqu'il parvient à percer le gris uniforme du ciel.
Bientôt, de jour comme de nuit, la peau ne sera plus jamais sèche et les draps des lits seront en éponge.
Alors c'est une sensation délicieuse que de traverser à grandes enjambées la fraîcheur du dimanche matin débutant.
A l'approche du Botanique, j'éteins la radio car, à toute parole, je préfère la vie du jardin qui bruisse derrière les hauts murs.
Les corolles des fleurs qui s'allègent des gouttes de rosée, les serpents et les lombrics qui froissent les herbes, les oiseaux qui picorent les graines...
A la reprise de l'écoute, l'auteur dit de son journal qu'il est sa béquille. Plus tard, alors que j'ai déjà choisi le parfum de l'eau chaude qui accompagnera ma lecture, elle évoque Virginia Woolf. Il est temps de rentrer.

"J'ai sorti ce journal et je l'ai lu comme on relit toujours ses propres écrits, avec une sorte d'avidité coupable. Je confesse que son style expéditif et décousu, si souvent incorrect grammaticalement, et qui réclamerait bien des corrections m'a plutôt consternée. Je voudrais dire à la personne, quelle qu'elle puisse être, qui lira ceci que je suis capable d'écrire beaucoup mieux et que je ne consacre pas beaucoup de temps à ce journal, et je lui interdis de le montrer à qui que ce soit.
(...)
Quelle sorte de journal aimerais-je écrire ? Il devrait être comme un tissu lâche qui ne ferait pas négligé, assez souple pour épouser toutes les choses graves, futiles ou belles qui me viennent à l 'esprit. J'aimerais qu'il ressemble à un vieux bureau profond, ou à un vaste fourre-tout dans lequel on jette une masse de choses dépareillées sans les examiner. J'aimerais y revenir au bout d'un an ou deux pour découvrir que ce disparate s'est trié de lui-même, épuré de lui-même, qu'il a fusionné, comme le font toujours si mystérieusement ces dépôts, en une forme assez transparente pour refléter la lumière de notre vie, mais cependant solide, respirant la sérénité et empreinte de ce détachement propre à toute oeuvre d'art."
Virginia Woolf. Journal intégral. Mercredi 17 avril 1919.

30.5.09

Take care


A ses invités, elle demande ce qui les remet droits quand tout part en vrille.
Moi, ce qui me garde droite, ce sont les dimanches où j'entends sa voix, où c'est elle qui cuisine.
Je pense à elle et, parce que je suis vraiment trop loin pour la serrer dans mes bras, je dois me contenter de lui dire "prends soin de toi".

29.5.09

Là je suis... (12)

Est-on sincère quand on dit que l'habit ne fait pas le moine ?

Ecoute-t-on vraiment le médecin qui nous reçoit en jean et en fumant un cigare de la même manière que s'il portait une blouse blanche ?
Réussit-on à réprimer notre inquiétude à la réunion de rentrée quand on apprend que l'homme à l'air immature et aux cheveux rouges est l'enseignant de français qui préparera au bac notre enfant ?
Ne pense-t-on pas spontanément "séminariste" à propos de la jeune femme assise dans la salle d'attente sous prétexte qu'elle a les cheveux rasés et qu'elle porte un long manteau noir d'où dépasse le col d'une chemise blanche ?

Stéthoscope, cravate et chemise sur-mesure, Leica M6, chevalet pliant, montre Rolex, chaussons demi-pointe ou chaussures à crampons, jupe serrée et cols lavallières, thé anglais et nouveau carnet...

Si vêtements et accessoires suggèrent la profession, alors, là, pas de doute, je suis vraiment :

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

28.5.09

C'est jeudi !


Même dans les moments où je me sens submergée par les lettres et les mots, je n'omets jamais d'écrire à Madame Gâ... Comme chaque semaine, notre correspondance est à lire dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

27.5.09

La porte secrète du huitième

Les grands magasins de Tokyo ressemblent parfois à un cerveau humain. On y trace des parcours aussi dénués de justification apparente que certains de nos enchaînements d'idées. On traverse des boutiques aussi disparates -et parfois aussi désertes- que le sont certains recoins de nos têtes.
Aussi, de même que je ne me souviens pas toujours comment j'en arrive à penser à certaines choses, je serais incapable d'expliquer comment je suis parvenue à cet endroit alors que j'en ignorais totalement l'existence.
Parfois, je me demande sérieusement si tout est permanent ou bien si la porte qui mène à la terrasse du huitième n'est pas subitement apparue juste au moment où je suis passée devant.
Sur les toits des grands magasins, il n'est pas rare de trouver quelques jeux, en plus d'une cafet forcément désuette et d'un coin fumeur.
Ce sont des lieux où des messieurs en cravate viennent manger une glace ou faire une sieste rapide à ciel ouvert.
Des lieux où les petits dépensent leur enfance dans les odeurs de yakisobas et le bruit assourdissant des appareils de climatisation ainsi que des ritournelles des distributeurs de gadgets.
Ils construisent leurs souvenirs pendant que leur mère, après avoir mangé leur bol de udons, finissent distraitement l'assiette de frites sans penser à rien, les yeux dans le vague, sans même savoir qu'elles sont en train de manger.

26.5.09

Tuesday self portrait (les vies minuscules)


Je porte aux oreilles des personnages de fiction qui chuchotent des secrets que je n'entends pas.

25.5.09

Pays de riz

"Le train s'arrête. La jeune fille qui lisait un roman de Tanizaki, à côté de moi, descend à cet arrêt. Un jeune homme l'attendait avec un bouquet de fleurs et de rapides baisers au cou. Le quai se vide. Le couple, toujours soudé. Le train bouge lentement. Elle a oublié son livre sur la banquette. Elle n'en a plus besoin. La littérature, c'est ce qui se passe entre deux rendez-vous d'amoureux. Tanizaki me tiendra compagnie."
Dany Laferrière.

Par la fenêtre, les rizières inondées scintillent au soleil.
Comme jeudi, comme toujours, je pense à l'amour.
Et, entre deux gares, entre deux rêves, je suis à Calcutta, grâce à Duras.

"-Est-ce que vous croyez qu'il est nécessaire de donner un coup de pouce aux circonstances pour que l'amour soit vécu ?
Le directeur ne comprend pas ce que veut dire le vice-consul.
-Est-ce que vous croyez qu'il faut aller au secours de l'amour pour qu'il se déclare, pour qu'on se retrouve un beau matin avec le sentiment d'aimer ?
Le directeur ne comprend pas encore.
-On prend quelque chose, poursuit le vice-consul, on le pose en principe devant soi et on lui donne son amour. Une femme serait la chose la plus simple."
Marguerite Duras. Le Vice-Consul.

24.5.09

Les humeurs du ciel

C'est à croire que le soleil du printemps n'est pas sorti de l'enfance et a besoin de faire le fanfaron pour prouver une force dont, pourtant, personne ne doute.

Après quelques jours de cette démonstration, il est allé jouer ailleurs et nous a laissé, pour ce dimanche, un cocktail rafraîchissant et bienvenu de grisaille et d'averses brèves.

Mais je suis sûre que, comme un enfant également, il ne va pas bouder longtemps.

23.5.09

L'heure anglaise (9)

A cinq heures, la lumière est blanche derrière les rideaux et je suis réveillée. Le silence profond est entrecoupé parfois d'un corbeau, parfois du moteur d'un taxi qui gravit la côte.
Au petit matin, l'heure est un peu anglaise et la journée commence entre les draps et les pages, entre le flux et le reflux du courant de la vie. La vie de Virginia Woolf. La mienne aussi.

"Nous voilà en pleine saison d'édition : Murry, Eliot et moi-même tombons ce matin entre les mains du public. Peut-être est-ce à cela que je dois de me sentir légèrement mais incontestablement déprimée.
Comme le remarquait un jour Sydney Waterlow, le pire, lorsqu'on écrit, c'est que l'on soit tellement tributaire des éloges. Je suis à peu près certaine que cette histoire ne m'en vaudra aucun, et je n'y resterai pas tout à fait indifférente. Sans encouragement je trouve difficile de me mettre à écrire le matin, mais cet abattement ne dure qu'une demi-heure et, une fois au travail, je n'y pense plus du tout. On devrait sérieusement s'efforcer de ne pas tenir compte de ces hauts et bas. Ici un compliment, là le silence, des commandes pour Eliot et pour Murry, aucune pour moi, cela ne change rien à l'essentiel, qui est le plaisir que mon art me procure. Et je me doute que ces brumes de l'esprit ont d'autres causes, encore qu'elles soient profondément cachées. Il y a dans le courant de la vie un flux et un reflux, qui l'expliquent, mais quant à ce qui provoque ce flux et ce reflux, je ne sais."
Virginia Woolf. Journal intégral. Lundi 12 mai 1919.

22.5.09

Là je suis... (11)

Une avocate m'avait dit que, pour elle, c'est pareil.
Plutôt que de savourer le contenu de son assiette et de profiter tranquillement des soirées auxquelles elle est invitée, elle les passe à répondre gratuitement à des questions techniques, à dispenser généreusement des conseils que, la journée, elle facture.
A tel point que, quand elle le peut, elle évite de dire la vérité quand on lui demande sa profession.

Au prochain "Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?", pour varier les anecdotes et les témoignages, je me dirai peut-être sexologue, pâtissière ou bien...

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

21.5.09

C'est jeudi !


Pas besoin de partir à l'autre bout de la terre pour envoyer une carte à Madame Gâ... Comme chaque semaine, notre correspondance immobile (ou pas) est à lire dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

20.5.09

Ikebukuro west gate park

"On ne peut pas vivre dans un monde où l'on croit que l'élégance exquise du plumage de la pintade est inutile. Ceci est tout à fait à part. J'ai eu envie de le dire, je l'ai dit."
Jean Giono. Un roi sans divertissement.
Giono mêle nonchalamment poésie et humour pour dire la neige et les loups, la beauté des femmes, la beauté du monde et les crimes aussi.

Ici c'est un jour échappé d'un été français. C'est ça : un jour chaud et sec du mois d'août. Une trentaine de degrés qui encourage à préférer le côté ombragé des trottoirs et qui fait penser aux vacances.
Le soleil décline à Ikebukuro et rosit l'eau de la fontaine. Alors, comme dans tous les pays du monde, on vient s'asseoir dans le courant d'air de la place, on fume une cigarette en desserrant sa cravate. On échange quelques nouvelles le temps d'une conversation, on mord dans une glace à l'eau, on feuillette une revue ou on lit quelques pages de son roman. On regarde le garçon aux cheveux longs qui accorde sa guitare ou on hésite, au téléphone, à propos du lieu du rendez-vous.
Et on a envie que la soirée soit longue.

19.5.09

Tuesday self portrait (le goût du thé)


Il n'y a pas encore de théière dans les placards de la cuisine de la maison de Kamakura.
Mais, même dans un verre doseur, le yunnan était parfait.

18.5.09

Un jour et quelques filles ordinaires

C'est un jour parfaitement ordinaire qui commence par un suicide comme souvent les lundis.

Le ciel est bleu par-dessus la montagne, le pain du sandwich est allemand et la conversation a lieu à l'ombre, sur la terrasse du cinquième, là où il ne fait pas trop chaud.
A la fin de l'après-midi, dans le rapid'express, les filles portent, indifféremment, des mini-shorts et des talons hauts ou des collants opaques et des bottes.
Elles paraissent ordinaires et puis elle sourient et là, elles deviennent sublimes.
Souvent, il suffit de peu.
Le soir, un souffle d'air agite les écailles colorées suspendues à la fenêtre.
Pendant que le repas cuit, je lis quelques pages savoureuses.
"Lorsque nous rentrâmes à la maison, les sauterelles commençaient à faiblir dans la bouteille où nous les avions incarcérées. Elles manquaient d'air et ne s'échappèrent pas, nous laissant tranquillement les déposer dans une poêle chaude, sans matière grasse, sans les avoir débarrassées de leurs ailes qui se détachèrent sous l'effet de la chaleur. Une pincée de sel suffit à les assaisonner.
Au fur et à mesure de la cuisson qui ne dura que quelques minutes, le petit abdomen des insectes se mit à suinter d'une graisse fine qui les fit dorer. Il n'y avait à manger que la tête et ce petit ventre mais ce fut bien assez pour attendre le dîner.
Et ce fut un régal."
Léonora Miano. Soulfood équatoriale.
Collection Exquis d'écrivains (merci Chantal, décidément merci.)

17.5.09

La mélodie du dimanche (et peut-être des autres jours)

En semaine, c'est une vieille dame un peu revêche aux cheveux teints en noir qui me tend le sac qu'elle a rempli des fruits et légumes que j'ai achetés.
Le dimanche, c'est un monsieur beaucoup plus jeune et très bronzé qui m'adresse toujours un mot gentil en me rendant la monnaie.
Aujourd'hui, il avait poussé le volume du disque des Bee Gees qu'il avait choisi en guise de bande son à sa matinée.
Et j'ai pensé que si la vieille dame écoutait les Bee Gees plutôt que les émissions sérieuses dans le poste mal réglé qui grésille et crachote à la caisse, elle serait de meilleure humeur !

En rentrant, j'ai fait une moisson d'un peu tout et n'importe quoi que j'avais envie d'écouter et j'en ai fait une nouvelle radio.
Cliquez sur la bande passante, en haut de la colonne de gauche et peut-être aurez-vous envie de chantonner pendant que le parfum du café envahit la cuisine, que vous mettez un peu de rouge à lèvres avant d'aller acheter une barquette de fraises, que vous écossez les petits pois du repas de ce midi, que vous ouvrez la fenêtre pour y fumer la cigarette du matin, que vous faites la vaisselle d'hier soir que vous n'avez pas eu le courage de faire après le départ des amis, que vous faites couler l'eau pour passer la matinée dans votre baignoire, que vous lavez les vitres, que vous feuilletez votre livre de recettes favoris pour savoir ce que vous allez manger au goûter...

Et si aujourd'hui, vous avez un pique-nique de prévu ou une envie de silence absolu, je pense que ces mélodies légères vont aussi avec un mardi soir, pendant que vous épluchez les concombres de la salade, que vous buvez un verre d'eau gazeuse en feuilletant une revue de cinéma, que vous mettez de l'ordre dans le salon, que vous répondez aux mails de la journée, que vous donnez à manger au chat...

16.5.09

Quelques secondes de ma vie


Malgré les diverses conversations qui l'ont émaillée, l'épisode le plus humain de ma journée s'est dispensé de paroles.
J'ai écrasé la poignée de mes freins et, pile au moment où le feu est passé au rouge, ma roue s'est arrêtée à 5 centimètres de ses pieds alors qu'il pensait à autre chose.
Il a relevé la tête, surpris.
Mon exploit devait me donner un air particulièrement réjoui.
On s'est regardés pendant quelques secondes.
On a éclaté de rire au même moment.

14.5.09

Là je suis... (10)

ça finissait souvent comme ça : ils me tendaient des billets, un chèque ou leur carte bleue après que je les avais écoutés parler de la femme de leur vie, la mère de leurs enfants, leur nouvel amour ou même leur mère.

Ils étaient parfois touchants, parfois parodiques : "elle est... le matin quand elle se lève, elle... et ses cheveux sont..." ébauchant davantage le portrait de leur sentiment que celui de la personne aimée.

Elégants, charmeurs, timides, vulgaires, passionnés, pressés, excessifs, généreux, égoïstes, indécis, heureux, pingres ou flambeurs... amoureux.
En les voyant défiler, j'avais parfois l'impression de diriger un casting.
Certains me demandaient de leur donner la réplique : "si vous étiez elle, qu'est-ce que vous aimeriez, vous ?".
Je jouais mon rôle, leur répondais ce qu'ils attendaient. Jamais je n'ai dit que j'étais soulagée de ne pas être "elle", pourtant ça m'a parfois brûlé les lèvres.

Certains me regardaient vraiment. D'autres moins attentivement : "elle est exactement comme vous. Enfin, juste un peu plus petite, blonde et frisée".

De ces relations payantes, j'ai beaucoup appris des hommes.
Je ne m'y attendais pas en signant mon contrat : les emplois ont souvent des noms banals qui n'évoquent pas toutes les surprises qu'ils peuvent réserver.
Plutôt que : tu vas être vendeuse à la bijouterie, on aurait tout aussi bien pu me dire : là, tu vas être...

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

C'est jeudi !


L'air du temps devient chaud et humide, par moment, avant que ça ne soit permanent. Mais il n'est pas seulement question de météo dans le courrier que je poste à Madame Gâ dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

13.5.09

Le rituel


Je dis : pour casser la monotonie de mes lundis -des jours qui ont juste le tort d'être ordinaires- il me faudrait un rituel.
Je dis : tu sais, quelque chose qui me fasse vraiment plaisir...
Je pense : il n'y a peut-être que moi pour ne pas avoir d'inspiration à ce sujet-là, que moi qui dois me poser cette question-là.
Il dit : forcément, tu ne trouves pas : l'organisation de tous tes jours repose sur la notion de plaisir. C'est seulement un jour par semaine que tu vis une contrainte.
Il a raison.
Et puis, j'ai trouvé ce qui me fait vraiment plaisir le lundi. C'est tourner ma clé dans la serrure à la fin de la journée. Rentrer chez moi.
Je cherchais ce que j'ai déjà.

12.5.09

Tuesday self portrait (celle que je suis aussi)

Alors, finalement, qui peut-on croire pour avoir une idée de notre apparence ?
La familière image inversée des miroirs et des autoportraits ?

Peut-on vraiment juger de notre ressemblance sur les photos que les autres prennent de nous ?
Quand il m'a donné mon portrait, j'ai eu une hésitation.
Et puis oui, je m'y suis reconnue.
Oui, c'est bien moi (enfin... je crois).

11.5.09

Le poids des mots

Ils pèsent lourd, ils prennent de la place... J'ai essayé de m'en passer.
Mais il m'est arrivé plusieurs fois de racheter ici des livres qui sont dans mes cartons et sans la présence desquels ma vie est moins tranquille.

"A elle seule, une bibliothèque vaut bien une famille, tracas compris. Bon an mal an, l'enfant grandit tout seul; il ne sait que croître : c'est sa nature. Mais la nature du livre est de mourir à chaque page pour renaître, si le veut le lecteur ou l'auteur, à la page ou la phrase suivante. Lire exige temps, effort, application : c'est transcrire en son esprit ce qu'un autre a écrit sur du papier, fournir sa propre vie à la parole d'autrui, regonfler de son propre souffle des mots expirés. Contrairement à un lieu trop commun, on ne dévore pas les livres : ils vous dévorent, vous vampirisent, se nourrissent de votre être et de votre énergie, vous coupent du monde, vous transportent dans le leur, mangent votre espace et votre temps, débordent de vos étagères, raccourcissent vos nuits et vos journées, rétrécissent votre maison et votre appartement, vous ruinent tout en vous enrichissant, vous font leur quand vous croyez les faire vôtres."
William Marx. Vie du lettré.

10.5.09

La golden week en caravane (7 : Porquerolles)


"La Perle des Iles d'Or
PORQUEROLLES (Var)
A- Vue générale aérienne

22.8.1967

Chers parents
ce matin mardi, nous avons pris le bateau et nous sommes allés sur une île. Il fait très chaud. C'est notre dernière semaine, ça file.
Gros baisers.
Jef. Yvonne."

Et, malgré tout, il est difficile de totalement échapper à la mélancolie des couleurs datées, de rester insensible au temps passé.
Cette semaine avec Jef et Yvonne rend nostalgique, c'est vrai.
Parce qu'avoir ressuscité leur album photo me fait penser aux miens, enfermés dans les cartons dormants.
Je me souviens des photos de Venise, des couleurs du bonheur, du noir et blanc du brouillard de l'hiver.
A vivre avec les souvenirs d'étrangers, n'est-ce pas les miens qui, lorsque je les retrouverai, seront à réinventer ?
Quand les vacances sont finies, on renoue avec sa vie, on revient à soi.
Un jour prochain, il sera temps de rouvrir les cartons.

9.5.09

La golden week en caravane (6 : Les gorges du Verdon)


"866
1 Balcon de la Mescla
2 Le Défilé du Styx
3 Tunnel du Fayet

17.8.1968

Temps magnifique et la contrée est très belle.
Gros baisers.
Jef. Yvonne."

Leurs récits de vacances parlaient de safaris, de chutes d'eau spectaculaires, de plongée sous-marine ou de farniente sur le bord de la piscine.
Ils demandaient : Et vous ?
Mon métier, en plus de ne pas me permettre de financer de tels voyages, consistait à les faire parler davantage qu'à raconter ma vie. Si je répondais : Une semaine à la montagne, généralement, ça leur suffisait.
Ils imaginaient des chaussures de randonnée, les mollets fatigués rafraîchis dans les torrents, des piques-niques dans les alpages, des raclettes le soir, peut-être même un baptême en parapente.
Certains demandaient : Où ? Et là, c'était plus compliqué parce que je n'ai jamais compris la différence entre le Jura et les Alpes, je n'ai jamais été sûre d'avoir vu le Mont Blanc au bout de l'index tendu vers un groupe de sommets. J'allais "à la montagne", c'était bien suffisant.
Je n'avais ni chaussures spécifiques, ni gourde en fer blanc, ni même de gilet en polaire et encore moins de projets de randonnée.
Non moi, ce que j'aimais le mieux, c'était la journée passée à Grenoble : plusieurs heures dans les librairies, la visite de l'expo temporaire au musée, une pause sur le toit du café-librairie.
Ce que j'aimais, c'était les cartes postales écrites sur la table du café de la place, la tasse de lait refroidi.
J'aimais la musique à fond dans le salon pendant que, à la cuisine, on découpait les poivrons du taboulé. Les projections de films super 8 dans le jardin, les soirées longues et fraîches, la vue sur les sommets depuis la terrasse, la pile de livres près du hamac.
Je n'ai jamais choisi mes destinations de vacances sur catalogue. Mais je tenais à mes amis. S'ils avaient habité en Bourgogne, à Marseille ou près des gorges du Verdon, c'est là que je serais partie.

8.5.09

Là je suis... (9) (La golden week en caravane 5 : Pompéi)

Plus tard, devant nos tasses brûlantes, sous la lumière douce de l'abat-jour à franges, nous avons ouvert les albums chinés le matin même sur les pavés humides et froids.
Il n'était pas à l'aise, il le disait, il disait son malaise. Ces photos abandonnées comme autant de familles dispersées, autant de fins de lignées, là, dans les cartons du marché.
Moi, je tournais les pages et j'ai découvert Jef et Yvonne, la vie en caravane dans les années 60, les cartes postales, les sandales à la montagne, le Martini et le réveil de voyage, sur la table.
Regarde, je lui ai dit, regarde...

"POMPEI
Foro-Veduta generale
Vue generale du Forum
Generale view of the Forum
General Ansicht des Forum

20.8.1966

Tout va bien, baisers.
Jef. Yvonne"

J'ai dit regarde, je peux l'imaginer Yvonne, en mai 1966, se contorsionnant dans la cabine d'essayage pour tenter de voir si la robe rose ne lui fait pas de trop grosses fesses. Et la vendeuse qui lui assure que non, pas du tout, que ce modèle est parfait, aussi bien pour rentrer de la plage que pour aller faire quelques courses en ville.
Je peux l'imaginer, Yvonne, le soir à l'appartement, retirer la robe du papier de soie et la mettre devant elle, se regarder dans le miroir de la chambre et penser à Pompéi, au camping en Italie, à son bronzage, aux vacances.
Je peux l'imaginer aussi, le papier peint fleuri du 128 de la rue des Ailes où arrivent toutes les cartes postales de l'été. Les retrouvailles le premier dimanche de septembre, la bouteille de chianti, les spécialités doucement sucrées qu'on déballe au moment du café, les photos de vacances qui circulent et l'oncle Marcel qui propose de trinquer à la vie en caravane.

Je lui ai dit que j'étais riche de cela.
Que dans le garde-meuble français aussi s'empilaient quelques boîtes à chaussures toutes emplies de mariages, de vacances au ski, de parties de campagne. Des vies en noir & blanc sépia ou aux couleurs excessives. Autant de vies dont aucune n'est la mienne.
Autant de vies à imaginer.

Alors, plus tard encore, il a ri.
Et, pendant que la lumière déclinait au dehors, il a pris les photos comme des cartes, lui aussi est entré dans le jeu et il a dit regarde.
Et j'ai ri -merveilleusement- avec lui.
Et j'ai pensé : là, je ne suis pas seulement :

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

7.5.09

C'est jeudi ! (la golden week en caravane 4 : Saint Aygule)


"83.118.214-REFLETS DE LA CÔTE D'AZUR
SAINT-AYGULE (Var)

12.8.1963
17H45

Chers Parents.
Nous voilà samedi et déjà une semaine de passée. Ici le temps est magnifique, heureusement il y a du vent. Hier nous avons été à la plage, mais beaucoup de monde, alors nous préférons rester dans notre camp où il fait bon et très calme. Gros baisers. Jef. Yvonne."

Retrouvez Jef ,Yvonne, la caravane et le courrier que j'adresse à Madame Gâ dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

6.5.09

La golden week en caravane (3 : Rimini)

Finalement, Mme Merlin, qui n'avait ni la stature ni l'autorité du magicien dont elle portait le nom, renonça a nous apprendre l'allemand durant les deux années de collège pendant lesquelles elle fut notre prof.
A la fin de la troisième, j'ai laissé Gisela et sa mère à la cuisine pendant que Rolf s'initiait à la bière avec son père dans le salon.
Et, malgré tout, je suis entrée au lycée.
Ma nouvelle prof ressemblait d'une manière incroyablement frappante au personnage de Julie de l'Ile aux enfants. Sans doute est-ce cela qui m'a troublée au point que j'ai passé plus de temps, cette année-là, à guetter l'apparition de Casimir qu'à apprendre quoi que ce soit de la langue allemande.
Car même soumise à la torture, je serais in-ca-pable de me rappeler ne serait-ce qu'un mot de vocabulaire ou la moindre structure grammaticale.
L'unique souvenir que j'ai de cette classe d'allemand date de la toute première leçon du livre. Le reste de l'année a disparu dans un énorme trou noir. La seule information que j'ai retenue ne concerne même pas la langue : j'ai juste appris, parce qu'une famille Allemande s'apprêtait à y aller, que Rimini est une destination touristique et italienne très populaire en Allemagne.

"Rimini e i suoi monumenti
Les principaux monuments de Rimini
The most important monuments of Rimini
Die wichtigste Denkmäler von Rimini

23.08.1965

Tout va bien. Baisers. Jef. Yvonne"

C'est une vingtaine d'années plus tard, parce que Jef et Yvonne y ont passé des vacances, que je découvre à quoi ressemble Rimini.

Les quatre photos couleur qui figurent sur la carte postale dentelée représentent : un pont, le vestige de l'ancienne porte de la ville ainsi qu'un autre morceau de fortification et une église. Le ciel est bleu. Les quatre sites sont déserts.

Rimini est l'incarnation du terrassant et insurmontable ennui aoûtien.
Rimini donne envie de rester chez soi et de passer l'été à apprendre l'allemand.

5.5.09

Tuesday self portrait (la golden week en caravane 2 : Roquebrune-sur-Argens)


"3445- ROQUEBRUNE-SUR-ARGENS (Var)

16-8-1968 17H30

Chers Parents.
Aujourd'hui mardi, le ciel est couvert mais avec de temps en temps du soleil, mais il ne fait pas froid. Nous faisons tout notre possible pour avoir de bonnes couleurs pour quand on revient chez vous. Nous espérons que votre santé va bien. De gros baisers de nous deux. Jef. Yvonne"

Tuesday self portrait. Influence Jef et Yvonne.

4.5.09

La golden week en caravane (1 : Rome)

La golden week, au Japon, c'est la redécouverte, chaque année, des congés payés.
C'est le pays entier qui prend l'avion, file au parc, fait la grasse mat', mange en famille... invente quelques jours moins ordinaires, à la saveur différente de celle d'un simple dimanche.
La golden week ne dure, en vérité, que trois jours mais, ici, c'est une semaine que nous passerons en compagnie de Jef et Yvonne. En caravane.

"ROMA
Plazza S.Pietro-Veduta Aerea
Place Saint-Pierre-Vue Aérienne
St.Peter-Square-Aerial view
Der hl.Petrus-Platz-Flug anblick

17.08.1965

Chère Tante,
ici tout va bien, espère de même avec toi. Comme tu le vois nous sommes à Rome. Au point de vue monuments ils sont grandioses et magnifiques. Cet après-midi nous prenons le car pour visiter Rome comme cela nous verrons tout. Dans notre caravane on se sent bien et libre. Maintenant je termine. Gros baisers. Jef. Yvonne"

3.5.09

Un dimanche à Otsuka

La journée a commencé tôt, bien trop tôt. Mais j'ai su rapidement, très rapidement, que ne m'y attendrait aucune autre tâche aussi importante que celle de décider combien de temps je laissais tremper ma tranche de gâteau dans le lait de soja avant de la mettre en bouche...

Du soleil sur le balcon.
Un baiser in extremis.
Des fraises dans un bol blanc.
Du vent dans les carillons.
Des fruits dans le sac au bout de mon bras.
Une salade de toutes les couleurs.
Et une certaine vision du déluge.
"Yahvé retira de Sa robe une petite boîte en fer-blanc qu'Il ouvrit. Il avait des mains moins grandes que ne l'avait imaginé Emma, même si l'arthrite y était manifestement pour beaucoup à en juger par Ses phalanges énormes et Ses doigts recroquevillés de façon peu naturelle. Il prit un objet dans la boîte, le plaça contre Ses lèvres et le fit disparaître dans Sa bouche. Dieu suce des pastilles ! songea Emma, stupéfaite. Exactement comme le docteur Noé !"

"La pluie mauve avait cédé la place à la pluie d'Onan, qui avait elle-même cédé la place à la pluie pareille à la vapeur puis à la pluie chaude et enfin à la pluie actuelle : la pluie pommes de pin. Le bruit lui-même en était effrayant, moins par son volume sonore -même s'il résonnait fort- que par son étrangeté. Chaque goutte grosse comme une pomme de pin était une sorte de poche qui explosait lorsqu'elle s'écrasait sur une surface, libérant un flot de liquide doré, iridescent, plus proche de l'huile que de l'eau. Peu à peu, les arbres et les bâtiments, l'herbe et la terre prenaient un aspect brillant, verni, aussi irréel que traître.
De la grange, Mme Noyes contempla un monde que l'on aurait pu croire oint du baume de Galaad. Il sentait même la résine et la sève. Quelle serait la prochaine trouvaille de Yahvé ? Chaque nouvelle variété de pluie donnait naissance, semblait-il, à une nouvelle forme de beauté inquiétante."
Timothy Findley. Passagers clandestins.

2.5.09

...et des poissons dans les branches

Il y a eu l'heure inaugurale, le petit déjeuner au soleil, sur le balcon.
Il y a eu l'avenue avant la foule, Omotesando encore tranquille.
Il y a eu le bol de tofu et 15 jours qui ont suffi à me faire croire que les voir pouvait devenir une habitude.
Il y a eu la succession des mariages, de l'autre côté de l'eau -les applaudissements, les photos, etc- pendant notre conversation sur l'amour -nos progrès, nos échecs, etc.
Il y a eu la fin du jour sur la terrasse, le parfum du chaï puis son train avant le mien, sur le même quai.

Et cette belle impression, en rentrant, d'avoir vécu tant de journées en une seule.

1.5.09

Là je suis... (8)

C'était compliqué, cette histoire.
Pas tout à fait sortis de l'ère trouble de l'adolescence, alors que nous déclinions encore en riant des "quand on s'ra grand" sans conséquence, il nous fallait décider ce que nous serions à peine quelques années plus tard.

Pour seul bagage, nous avions :
-l'assurance que nos lendemains ne chanteraient pas.
-que le chômage finirait tôt ou tard par nous rattraper.
-sauf, peut-être, si nous choisissions la voie de l'informatique.

Nous étions amoureux, en classe de terminale. Ignorant tous les métiers qui existent au monde. A peine conscients que nous avions le droit d'en imaginer qui n'existaient pas encore.
Nous passions parfois un peu de temps au centre d'information et d'orientation, à regarder les fiches des professions, espérant pouvoir nous reconnaître dans l'une d'entre elles.

Infirmière. Banquière. Fleuriste. Laborantine. Créatrice de mode. Ou de bijoux. Agent immobilier. Coiffeuse. Bibliothécaire. Paysagiste. Architecte. Spationaute...

Non ! Impossible ! Inaccessible... Quand même pas ! Tout mais pas ça ! Tu m'imagines ? C'est sur concours... Non mais, tu parles sérieusement ? Il paraît que c'est trop dur... C'est pas pour moi ! J'y arriverai jamais... Tu crois vraiment ?

Finalement, j'avais retenu "clown en entreprise" tout en feignant d'ignorer les longues études en psychologie nécessaires ainsi que mon peu d'aptitude au déguisement.

De toute façon, nous écourtions nos recherches pour faire ce en quoi nous étions réellement talentueux : manger des pâtisseries sur le parvis de la cathédrale tout en disant n'importe quoi.
Néanmoins, nous ne parvenions pas à trouver à quelle profession ce talent-là était indispensable. De plus, nous étions conscients de ne pas être les seuls à en être dotés...

Dans le fond, j'en revenais toujours à la même idée. Ce métier pour lequel il n'y avait, à ma connaissance, pas de formation, que je nommais "femme fatale", que j'aurais pu définir comme "femme du monde".
Je m'imaginais parfaitement être l'invitée indispensable de tous les cocktails forcément parisiens, n'accordant ma présence qu'avec parcimonie, dispensant avec modestie les avis sensés et cultivés qui me rendaient si recherchée.

Mais comme, à cette époque, il suffisait d'un soupçon de rouge à lèvres pour me faire penser que j'étais trop féminine, j'avais été assez lucide pour renoncer à m'imposer dans une vie qui nécessitait le port des talons hauts.

A présent, alors que je ne porte décidément pas de robe à cocktail, il m'arrive d'imaginer secrètement ce que serait ma vie si les esprits les plus brillants de mon temps convoitaient ma carte de visite, si tous, ils rêvaient d'être en possession d'une telle invitation :

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!