Affichage des articles dont le libellé est Dans les pages. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Dans les pages. Afficher tous les articles

26.1.10

Tuesday self portrait (tout ce qui restera)


"On consulte sa vie pareil.

Les souvenirs de soi et ceux de tous se réduisent en images simples, à prendre ou à laisser, je coupe ça, je regarde ça, non, je coupe, oui je garde, je colle ça avec ça, prendre une image, tiens.

On revisite tout ce qu'on veut."

Olivier Cadiot. Un nid pour quoi faire.

20.1.10

Table des matières

Table descriptive

Récit

Chapitre 1 : Fleur inverse.........................................................11

(...)
6 A l'air froid, le nuage né du souffle......................................32
"buanderie"-locomotives-pianiste-calviniste-philosophe-chant de guerre-passion ferroviaire-paresseux-sommeil.

7 Dans cette poignée d'images d'enfance...............................36
enfance, rareté-virtu machiavellienne-contemplation, image-"hors-là"-vitesse-rhétorique hermogénienne-Tristram Shandy-territoires fracturés-snapshots immobiles.

8 Chaque fois que je sors, au présent, de la chambre du gel.........39
neige, blanc pur-lumière-lumière neige-nuit impossible, monde-gel-soleil blanc-blanc-blanc sur blanc-corneilles. 

9 Ce souvenir est sans tristesse......................................................43
oiseaux de prose médiévale,-neige-"sérénité", mémoire-inscape-alba-neige et lumière-clarté-flèche-Mémoire.

Jacques Roubaud. La boucle

Un projet oulipien : à partir de la table descriptive du roman de Jacques Roubaud, en écrire un autre qui, totalement différent, répondrait au même sommaire.
Matière à inspiration.

10.1.10

Once again

Lui, 56 ans, dans la maison de location à Quiberon, un jour gris où il n'a pas envie d'aller à la pêche avec ses petits-enfants.
Elle, 19 ans, dans sa chambre, au lieu de rédiger son devoir d'histoire et malgré la musique tonitruante qui s'échappe de la chambre de son plus jeune frère.
Elle, 42 ans, le 17 février dans le bus n°63 qu'elle prend tous les matins pour aller travailler.
Moi, 19 ans un matin de septembre, au fond du jardin, sous le pommier sous lequel j'ai révisé pour le bac.
Lui, 28 ans, dans l'aéroport où il attend son avion à destination de Buenos-Aires, les pieds posés sur son sac de voyage.
Lui, 31 ans, devant un verre de bière et les miettes d'un sandwich à l'emmenthal dans un café où il va tous les mardis avant son cours d'anglais.
Elle, 27 ans, dans la salle de pause de l'entreprise où elle travaille depuis trois ans, en essayant de s'abstraire des conversations de ses collègues.
Lui, 43 ans, 10H30 dans la chambre d'hôpital où il fait la lecture à sa mère récemment opérée.
Moi, 39 ans à Tokyo, un jour d'hiver ensoleillé, sur la terrasse d'un grand magasin, entourée de gens qui mangent bruyamment des soupes de nouilles.

Le même livre, les mêmes mots et, pourtant, autant de lectures différentes.

Peut-on parler de relecture lorsque le temps qui nous sépare de la précédente fois nous a changés au point de faire de nous des étrangers presque méconnaissables sur les photos ?

"Il nous faut des lois et de la discipline. Après tout, on n'est pas des sauvages. On est des Anglais, et les Anglais sont épatants en tout. Alors, on doit se conduire comme il faut."

"Les grandes personnes savent tout, elles n'ont pas peur du noir. Ici, elles se réuniraient, prendraient le thé ensemble et discuteraient la situation. Et tout s'arrangerait..."
William Golding. Sa majesté des mouches.

7.1.10

C'est jeudi !

"Veux-tu que je fasse une tarte à la rhubarbe ?
-Jonas et moi avons la rhubarbe en horreur.
-C'est pourtant elle qui a les plus jolies couleurs; rien n'est plus ravissant sur les étagères que la confiture de rhubarbe.
-Fais-la pour les étagères alors. Mais pour moi une tarte aux pissenlits.
-Nous aurons une salade printanière au menu, annonça-t-elle.
-Nous mangeons les saisons. Nous mangeons le printemps et l'été et l'automne."
Shirley Jackson. Nous avons toujours habité le château.

Avec Madame Gâ, nous avons en commun bien plus que notre goût pour les umeboshis ou pour le livre de Shirley Jackson. Nous avons également le même penchant pour le courrier et c'est pour cela que, tous les jeudis, nous partageons cette boîte aux lettres.

(Notre webmaster dit qu'y laisser des commentaires est à nouveau possible... ne vous en privez pas !)

6.1.10

Dans la ville

"Cela faisait un mois à peine que j'étais à Tokyo, pourtant, j'avais l'impression d'y vivre depuis des années, tant le paysage urbain m'était devenu familier. Je connaissais si bien ce quartier que si quelqu'un m'avait salué, je n'aurais pas été autrement surpris. Je ressentais même une certaine nostalgie à la vue de la vieille boîte à lettres au coin de la rue, des pancartes aux couleurs écaillées, des bosquets touffus de chênes-lièges qui dépassaient des haies des propriétés privées. Les klaxons des voitures, les conversations des ménagères avec leurs voisines devant les portes arrière des maisons, les cris des corbeaux perchés côte à côte sur les lignes électriques, un piano sur lequel quelqu'un faisait ses gammes...
Tous ces sons se mêlaient pour composer le bruit de fond d'un quartier qu'il me semblait connaître depuis longtemps.

J'achetai un journal au kiosque devant la gare, le mis sous mon bras et passai le portillon d'entrée. Sur le quai s'allongeaient les ombres des rares passagers qui attendaient le train. Je me faufilai entre elles, en direction de la rame de tête.
Le train entra doucement en gare, m'avala en silence avec les autres passagers. A l'intérieur de la rame, les gens se tenaient debout, à distance respectueuse les uns des autres, les regards s'évitaient avec une extraordinaire constance, chacun centré sur son propre univers. Levant les yeux, je m'agrippai à la courroie de cuir suspendue près de l'entrée et, imitant les habitants de la capitale, attendis, silencieux et immobile, que le train arrivât à Shibuya. Je m'étais habitué à vivre au milieu d'une foule paisible qui respectait les règles sans protester. Je me sentais vraiment faire partie de Tokyo."
Hitonari Tsuji. L'arbre du voyageur.

3.1.10

Une théière de sobacha et les conseils de Georges Orwell


"Si vous cherchez thé dans le premier livre de cuisine venu, vous constaterez probablement qu’il n’est pas mentionné ou, tout au plus, vous trouverez quelques lignes d’instructions peu précises qui ne donnent aucune règle de conduite sur plusieurs des points les plus importants.

C’est curieux, non seulement parce que le thé est l’un des principaux piliers de la civilisation dans ce pays, aussi bien qu’en Irlande, en Australie et en Nouvelle Zélande, mais aussi parce que la meilleure façon de le faire est l’objet de controverses.

Quand j’observe ma propre recette pour une tasse de thé parfaite, je ne trouve pas moins de onze points saillants. Sur deux d’entre eux, peut-être, il pourrait y avoir un accord assez général, mais au moins quatre autres sont intensément controversés. Voici mes onze règles personnelles, je considère chacune d’entre elles comme extrêmement précieuse :

• Tout d’abord, on devrait utiliser du thé d’Inde ou de Ceylan. Le thé de Chine a des vertus qui ne doivent pas être dédaignées de nos jours - il est économique et on peut le boire sans lait - mais il n’est pas très stimulant. On ne se sent pas plus sage, plus courageux ni plus optimiste après en avoir bu. N’importe qui ayant prononcé avec soulagement l’expression « une excellente tasse de thé » voulait invariablement dire « thé indien ».

• Deuxièmement, le thé devrait être fait en petites quantités - c’est-à-dire, dans une théière. Le thé sorti d’un seau est toujours insipide, alors que le thé militaire, fait dans un chaudron, prend un goût de graisse et de lessive. La théière devrait être en porcelaine ou en terre cuite. Les théières en argent ou en alliage Britanniaware produisent un thé inférieur et les pots émaillés sont encore pires ; cependant, assez curieusement, une théière en étain (une rareté de nos jours) n’est pas si mauvaise.

• Troisièmement, le pot devrait être préalablement réchauffé. Il vaut mieux le placer sur la grille près du feu que de recourir à la méthode habituelle qui consiste à l’emplir d’eau chaude.

• Quatrièmement, le thé devrait être fort. Pour un pot d’un quart, si vous voulez l’emplir presque au bord, six cuillères à café pleines seraient parfaites. Dans une époque de rationnement, ce n’est pas une chose à faire chaque jour de la semaine, mais je soutiens qu’une tasse de thé forte vaut mieux que vingt faibles. Tous les véritables amateurs de thé aiment non seulement leur thé fort, mais un peu plus fort chaque année qui passe - un fait qui est reconnu par la ration supplémentaire attribuée aux retraités.

• Cinquièmement, le thé devrait être mis directement dans le pot. Aucun filtre, sacs de mousseline ou autre dispositif pour emprisonner le thé. Dans certains pays, les théières sont équipées de petits paniers se balançant sous le bec pour attraper les feuilles qui s’échappent et qui sont censées être nocives. En fait on peut avaler des feuilles de thé en quantité considérable sans effet nocif, et si le thé n’est pas libre dans le pot il n’infuse jamais correctement.

• Sixièmement, on devrait approcher la théière de la bouilloire et non pas le contraire. L’eau devrait réellement bouillir au moment de verser, ce qui signifie qu’on devrait la garder sur la flamme tandis qu’on verse. Certains ajoutent qu’on devrait utiliser uniquement de l’eau qui vient juste d’être portée à l’ébullition, mais je n’ai jamais noté que cela faisait la moindre différence.

• Septièmement, après avoir fait le thé, on devrait le remuer, ou encore mieux, donner au pot une bonne secousse, pour permettre aux feuilles de se répartir.

• Huitièmement, on devrait boire avec un mug - c’est-à-dire avec une tasse cylindrique, pas avec une du genre plate et profonde. Le mug contient plus, et avec l’autre le thé est toujours à moitié froid avant qu’on ait commencé.

• Neuvièmement, on devrait retirer la crème du lait avant de l’utiliser pour le thé. Du lait trop crémeux donne toujours au thé un goût malsain.

• Dixièmement, on devrait verser le thé dans la tasse d’abord. C’est l’un des points les plus controversés de tous ; en effet dans chaque famille en Grande-Bretagne il y a probablement deux écoles de pensée sur ce sujet. L’école du lait-d’abord peut avancer quelques arguments assez forts, mais je soutiens que mon propre argument est inattaquable : en mettant le thé d’abord et en l’agitant tandis qu’on verse, on peut exactement régler la quantité de lait alors qu’on est exposé à en mettre trop si on fait le contraire.

• Pour finir, le thé - à moins qu’on le boive dans le style russe - devrait être bu sans sucre. Je sais très bien qu’ici je suis minoritaire. Mais vraiment, comment pouvez-vous prétendre être un véritable amateur de thé si vous en détruisez la saveur en y mettant du sucre ? Ce serait aussi raisonnable d’y mettre du poivre ou du sel. Le thé est censé être amer, juste comme la bière est censée être amère. Si vous l’adoucissez, vous ne goûtez plus le thé, vous goûtez simplement le sucre ; vous pourriez faire une boisson très semblable en dissolvant du sucre dans de l’eau chaude ordinaire.

Certaines personnes répondraient qu’elles n’aiment pas le thé pour lui-même, qu’elles le boivent seulement afin de se réchauffer et de se stimuler et elles ont besoin de sucre pour en chasser le goût. À ces personnes dans l’erreur, je dirais : essayez de boire du thé sans sucre pendant, disons, une quinzaine et il est très peu probable que vous voudrez jamais bousiller votre thé en l’adoucissant encore.

Ce ne sont pas les seuls points controversés qui surgissent à propos de la consommation de thé, mais ils sont suffisants pour montrer combien toute l’affaire est devenue subtile. Il y a aussi la mystérieuse étiquette sociale qui entoure la théière (pourquoi est-il considéré comme vulgaire de boire dans votre soucoupe, par exemple ?) et beaucoup de choses pourraient être écrites à propos des utilisations secondaires des feuilles de thé, telles que prédire l’avenir, prévoir l’arrivée des visiteurs, nourrir les lapins, soigner les brûlures et nettoyer le tapis. Ça vaut la peine de faire attention à des détails tels que le chauffage du pot et l’utilisation d’une eau vraiment bouillante, afin de s’assurer tout à fait d’extraire de sa ration de deux onces, correctement manipulée, les vingt bonnes et fortes tasses qu’elle doit représenter."
Georges Orwell. "Une bonne tasse de thé".

22.12.09

Tuesday self portrait (la tête libre)


"Clyméné a plusieurs fois voyagé à l'étranger. Elle visita entre autres une ville où l'on mangeait sans arrêt des aliments séchés en sachets et des petits ciné-gâteaux. Les femmes chez qui elle logeait, en admiration devant la ligne très stylée de Clyméné, lui demandèrent si elle faisait partie des Mangeuses d'air. Ce sont des femmes qui ont décidé de ne plus mâcher et de n'avaler que de l'oxygène. La plupart d'entre elles sont suivies par un programme informatique facilitant le jeûne.
-Au contraire,
répondit Clyméné,
il faut manger chaque jour suffisamment, sans quoi le corps devient informe. Manger peu, c'est comme lire peu. Quand je lis trop peu, je n'ai plus la tête libre."
Yoko Tawada. Opium pour Ovide.

20.12.09

... et un dimanche invariable


Le bleu est une couleur froide mais le soleil est assez chaud pour gagner le toit des habitudes, y manger un bol fumant de udons et y lire la moitié d'un livre pendant que les enfants se barbouillent le visage de glace au chocolat.

"Je m'avançai maladroitement pour la prendre dans mes bras, mais elle se recula avec brusquerie.
"Pour l'amour de Dieu, pas de chichis ! me lança-t-elle sèchement. Après tout, je suis juste en train de mourir."
La bouilloire s'arrêta automatiquement et l'eau, dedans, se calma en ronchonnant. Je m'émerveillai, pas pour la première fois, devant la suffisance cruelle des objets ordinaires. Mais non, ils n'étaient ni cruels ni suffisants, seulement indifférents, comment pourraient-ils être autrement ? A partir de maintenant, j'allais devoir prendre les objets tels qu'ils sont, et non tels que je pouvais les imaginer, car j'avais affaire à une nouvelle version de la réalité. Je sortis la théière et le thé qui s'entrechoquèrent.
La bouilloire en inox étincelait et la volute de vapeur émanant du bec verseur rappelait vaguement le génie et la lampe. Oh, accorde-moi un voeu, rien qu'un.
"Retire ton manteau, au moins", m'écriai-je.
Mais pourquoi au moins ? Quel drôle de truc, le langage humain."
John Banville. La mer.

14.12.09

Les journées gâchées

"Ki-itchiro se souvint du jour où lui-même, revenu de Chine, avait vu le mont Fuji. Jusqu'à ce jour-là, il ne s'y était jamais senti particulièrement attaché. Cette montagne avait des formes trop parfaites. Lui, il préférait le charme brut des sommets tels que ceux de la chaîne d'Hokada.
Mais le Fuji qu'il avait aperçu de la fenêtre du train le ramenant de Chine lui était apparu complètement différent. Beauté, majesté, qu'importe. C'était incontestablement la montagne du Japon. Dès lors, Ki-itchiro s'était pris d'amour pour cette montagne. Par temps couvert, lorsqu'il ne pouvait l'apercevoir, il avait l'impression que quelque chose lui manquait, sa journée était gâchée."
Yasushi Inoue. Les dimanches de Monsieur Ushioda.

Pas gâchés les lundis sans le mont Fuji. Mais tellement, tellement moins beaux.

7.12.09

La palette nostalgique

Les couleurs de la ville sont patinées, doucement usées, si souvent vaguement nostalgiques, surtout à l'heure du couchant.
Tokyo me donne parfois l'impression de regretter un passé que je n'ai pas encore connu.

"Mono no aware est l'esprit du aware (émotion nostalgique) découvert dans les mono (choses, objets). C'est un "monde qui pourrait exister" (arukeki sekai) aperçu dans les objets tels qu'ils sont. On pourrait dire aussi que c'est le monde de sentiments nés de l'harmonie existante entre l'esprit et la forme des choses.
Etymologiquement aware ne signifie pas tristesse mais plutôt le mouvement qui pousse à dire : "oh", aussi bien en des moments de douleur qu'en des moments de joie. C'est un sentiment que l'on éprouvera aussi bien dans l'allégresse d'une matinée de printemps que dans la tristesse d'une soirée d'automne. Si j'avais à le définir, je dirais qu'il se compose surtout de la tranquillité d'un sentiment tendre et nostalgique. C'est à partir de cette acception qu'il est aussi devenu sentiment de tristesse."
Jacques Roubaud. Mono no aware (le sentiment des choses).

27.11.09

"Loup- reçu ce matin ta lettre"


"Enfin mon chéri, il y a un mois de passé il ne te reste plus que 11 morceaux à manger du gâteau, sur lesquels 1 ou 2 tranches se consommeront en congés.
J'ai pensé à un procédé pour t'abréger le temps. Prends 11 tablettes de chocolat que tu aimes beaucoup, dis-toi que tu ne veux en manger une que le dernier jour de chaque mois -tu seras tout étonné de les voir filer -et l'exil avec. Je crois que je divague et que je dis une ineptie qui n'aurait d'avantage que d'augmenter ta dyspepsie.
Au revoir mon cher petit. Porte-toi bien et sois vainqueur d'un combat dont ton bonheur et le nôtre sera le prix.
Je t'aime tendrement.
J.P."

Correspondance avec sa mère 1887-1905. Marcel Proust
300 yens, en passant.

19.11.09

C'est jeudi !

"Je parlais avec des professeurs de collège. Ils discernaient, surtout chez les filles, une volonté batailleuse, un désir, mais inquiet, déjà miné. "J'aime rêver, écrivait une petite, je ne devrais pas, mais." Une autre avait intitulé un texte "Les femmes peuvent travailler comme les hommes." Mais souvent aussi on trouvait un savoir fermé, total, désespéré. "Mon père travaille chez Renault, il ne pourra jamais écrire un livre".
Parfois j'entendais des phrases impossibles. Des adolescents jetés ensemble dans le même sac de leur future spécialité, ils étaient dans un lycée agricole, par un professeur pourtant bienveillant : celui-ci appelait sa classe du matin "les viandes", et sa classe d'après-midi "les produits laitiers".
Leslie Kaplan. Le psychanalyste.

Vous vous connectez ici depuis votre boulot ?! Alors n'hésitez pas à profiter de votre pause café pour lire la correspondance que nous échangeons, Madame Gâ et moi dans la boîte aux lettres de Nos Jeudis.

17.11.09

Tuesday self portrait (le poisson de la voisine)


"Il est étrange qu'en soi-même on ne se sente pas d'âge. Connaîtrait-elle son âge, se demande Clyméné, si elle n'avait jamais compté les années de sa vie ? S'il n'y avait ni administrations, ni formulaires, anniversaires, curriculum vitae, écoles, candidatures ni caisse d'assurance maladie. Si l'âge qu'on a était chose aussi anodine que la taille du poisson rouge de la voisine ! A supposer que Clyméné n'ait jamais compté les ans et qu'un jour on lui ait demandé : quel âge avez-vous, au fait ? Elle aurait pu énumérer les métropoles où elle a vécu, les matières qu'elle a étudiées et enseignées, ou bien elle aurait pu mentionner les noms de ses colocataires.
-Le passé est-il dénombrable ?
Une étudiante posait cette question car il existe des substantifs indénombrables. Le passé est-il indénombrable comme l'eau et l'air ? Même si le passé était dénombrable, cela n'impliquerait pas qu'il ait un lien avec l'âge."
Yoko Tawada. Opium pour Ovide.

13.11.09

En sortant du bureau d'immigration

"-Où voulez-vous aller ?
-A Venise.
-Venise ! Quelle drôle d'idée !
-Vous connaissez Venise ?
-Bien sûr ! Tout le monde connaît Venise !
-C'est là que je suis né.
-Bravo ! J'ai toujours pensé que personne ne naissait à Venise et que tout le monde y mourait. Les bébés doivent naître tout poussiéreux et couverts de toiles d'araignées... En tous les cas, la France vous a bien nettoyé : je ne vois pas de trace de poussière, la France est un excellent détergent... Bravo !"
Bernard-Marie Koltès. Roberto Zucco.
(En lecture enthousiasmante ICI)

Après ces heures passées dans les cafés avec vue sur la vie aux heures ouvrées et denses, mon avenir, où qu'il m'emmène après Tokyo, aura forcément un parfum de province et de laisser-aller.

10.11.09

Tuesday self portrait (lectrice)

"11h

voyez-vous lectrice lecteur j'éprouverais peut-être une manière de satisfaction si je réussissais dans cette chronique à réduire un tant soit peu la place dévolue à mes
petites affaires privées je préfèrerais de beaucoup que l'extime l'emporte sur l'intime mais je n'ai pas la moindre assurance d'y parvenir autant que je le voudrais il m'est et me sera impossible je le sais de passer sous silence à tout le moins quelques-unes de mes émotions et difficultés toujours est-il que je me suis étendu à l'excès sur cet épisode d'amour que j'ai dérivé d'une façon presque catastrophique la raison en est sans doute que je viens de boire plusieurs verres de whisky à la suite je ne devrais pas quel manque de volonté n'est-ce pas je me souviens que ma mère m'avait déclaré un jour en constatant que je ne parvenais pas à m'arrêter de fumer tu n'as aucune volonté j'ai encore le son de sa voix dans la tête bref j'en suis là pour l'instant plusieurs verres de ce whisky dont j'ai déjà indiqué le nom j'ai assurément une raison bien à moi d'avoir recours au whisky J&B plutôt qu'à un autre rien ne m'empêcherait de vous faire part de cette raison mais je la garderai par-devers moi ainsi n'aurai-je du moins pas aggravé mon cas ce matin
et si je choisis de m'adresser directement à vous c'est en pensant à ce qu'a écrit henri michaux

Je compte sur toi, lecteur, sur toi qui vas me lire, quelque jour, sur toi lectrice. Ne me laisse pas seul avec les morts comme un soldat sur le front qui ne reçoit pas de lettres. Choisis-moi parmi eux, pour ma grande anxiété et mon grand désir. Parle-moi alors, je t'en prie, j'y compte."

Jacques-Henri Michot. Comme un fracas.

Cher Jacques-Henri,
j'ai découvert une faille dans mon emploi du temps qui m'a permis d'associer une terrasse au soleil, la saveur d'un thé vert et une cinquantaine de pages de ton livre.
Dit-on jamais assez le bonheur que procure la lecture ? Ce moment où, dès le début d'un texte, on le sent résonner, on se sait touché d'avoir été choisi comme témoin, comme lecteur, comme compagnon...
Jacques-Henri, merci de partager tes musiques, tes auteurs, tes faiblesses et tes emportements nécessaires.
Il était bien, ce midi, en ta compagnie. Et j'aime savoir que le plaisir d'entendre ta voix va durer encore plusieurs centaines de pages.
Je t'embrasse,
Gwen.

6.11.09

Dans les pages

Une cuisine toute neuve. Chantal Pelletier.
Rares sont les personnes à qui je demande des conseils de lecture car la plupart des gens, pour répondre à cette question, se soucient rarement de moi.
Je n'aime pas les "il faut absolument lire..." que je devine adressés à moi comme à n'importe qui d'autre, sans distinction.
Nouvelles du racisme ordinaire. Daniel Zimmerman.

Je ne sais plus comment c'est arrivé mais, un soir, il m'avait fait lui raconter les mois que j'avais passés à lire, lire et rien d'autre, ces mois où la vie importait moins que la lecture.
Jamais je n'aurais osé lui dire "il faut absolument que tu lises..."
Mais quand j'ai su que c'était grâce à cette soirée qu'il s'était plongé dans la Recherche du temps perdu, j'en ai été infiniment touchée.
Le ventriloque. Brigitte Peskine

Et voir les sculptures de Thierry Grave, c'est un peu ça aussi.
Ce n'est pas entendre une injonction mais recevoir son interprétation, partager son expérience de lecture.
L'échappée. Anne-Dauphine du Chatelle. 

L'exposition "L'ivre d'auteurs" est un parcours sensible entre les pages, au coeur des mots.
Et elle donne une formidable envie : celle de lire.
Je suis la vieille dame du libraire. François Perche.

(A voir à l'institut franco japonais de Tokyo jusqu'au 30 novembre)

4.11.09

Boulimique

Un recueil de nouvelles d'Eric Faye est un festin qui ne refroidit pas, qui ne se périme pas, que je peux savourer lentement, dont je peux étaler le plaisir de lecture sur un long temps.

Mais voilà, comme d'autres achèvent une plaquette de chocolat après s'être promis de n'en manger que deux carrés pour la faire durer toute la semaine, je reprends à peine mon souffle entre deux récits jusqu'à la fin du livre.

"La veille avait été un bien curieux dimanche. Un embouteillage de minutes plus monotones les unes que les autres, qui n'arrivaient pas à passer par le goulot de cette drôle de journée. Un ciel qui pleurait à intervalles réguliers sur les vitres et le toit, soupirait à en faire claquer les volets, en décoiffer les arbres. J'ai pris ma grande décision à un moment précis de cet après-midi-là... Je terminais d'avaler un café froid en regardant par la fenêtre. Mon mari lisait une revue ou faisait semblant, ou les deux : il arrive que l'on parcoure des lignes sans rien en retenir de plus que ce qu'un avion d'épandage garde des sillons qu'il saupoudre. A un moment donné, il a dû y avoir dans cet après-midi-là quelque chose d'excessif, je dirais. Quelque chose d'imperceptiblement excessif, un débordement, et c'est alors qu'a dû se former ma décision, si bien que, dans le courant de cet après-midi-là, je me suis dit que c'était pour le lendemain, tu le fais demain, ça ne peut plus durer comme ça. Ce dimanche avait été un brin plus barbant que la moyenne... Sur une échelle de l'ennui finement graduée, on parvient à détecter des choses comme ça, aujourd'hui. Un tout petit peu plus maussade, et c'est ce petit peu qui avait fait passer le potentiomètre dans le rouge. Le soir, je me suis endormie satisfaite de ma décision mais, le plus curieux, c'est que le lendemain matin -le lundi-, je me suis réveillée animée des mêmes intentions. Combien de fois avais-je déjà renoncé, auparavant ? Et là, non. Je m'en suis étonnée et me suis dit bon, peut-être dois-je à un dimanche un brin trop dimanche de me retrouver un lundi matin sans craindre de tout bouleverser ?"
Eric Faye.
Quelques nouvelles de l'homme.

2.11.09

Etre dans l'erreur

A ce moment-là, j'allais très souvent au cinéma et je laissais des messages rageurs sur le tableau des commentaires, à l'intention des projectionnistes peu soucieux, me semblait-il, de leurs réglages.
Il aurait été poli d'aller, plus tard, épingler un mot : "excusez-moi : en fait, je suis myope"...
Quinze ans après, je suis encore nostalgique des vingt-quatre premières années de ma vie pendant lesquelles ma vue était excellente.
Si mes yeux ont besoin d'une correction, cela signifie-t-il que ma vision des choses est erronée ?

"Coronis arrête sa lecture, elle retourne avec précaution vers la page, la pseudo-mouche resurgit. La pseudo-ombre volante n'est pas dans l'air, mais dans les prunelles de Coronis, c'est une déchirure dans sa vue.
-Cela vient de l'âge,
dit l'ophtalmologue.
-Ces fausses mouches viennent de l'âge ? Et où est-ce, cette ville, Lâge ?
-Ce ne sont pas des bêtes, c'est un problème physiologique.
-Avoir tous les ans un insecte de plus dans le corps, c'est bien : un grillon dans le coeur, une sauterelle dans les nerfs et un papillon de nuit dans la gorge.
Coronis se voit comme une maison où habitent d'invisibles insectes. Le médecin pose sur le nez de Coronis des lunettes de test et désigne une affiche sur laquelle on voit une série de lettres. On dirait de la poésie concrète.
-Quelles lettres voyez-vous ?
Coronis voit un O, mais avec une autre paire, elle voit un Q, et avec une troisième un G.
-Et maintenant que voyez-vous ?
demande le médecin.
Coronis répond :
-Je vois à chaque fois quelque chose d'autre. Vivre plusieurs significations en changeant souvent de lunettes, c'est cela le sens d'une paire de lunettes ?
-Les femmes qui avaient de bons yeux étant jeunes ont des problèmes avec les lunettes car pour elles, c'est uniquement un symbole de l'âge. Mais songez que beaucoup de petits enfants sont obligés de porter des lunettes,
dit le médecin.
-C'est ennuyeux, une vie sans lunettes,
répond Coronis gaiement.
Yoko Tawada. Opium pour Ovide.

28.10.09

Ma vie en manga





"C'est ça... Quand on veut échapper au tumulte de la ville, on peut venir ici... Le plat du jour, c'est le ciel bleu".
Jirô Taniguchi-Masayuki Kusumi. Le gourmet solitaire.

26.10.09

8 mois sans lune


"Sur l'image, je reconnaissais son corps, sa façon de se tenir, sachant qu'il posait pour moi. Nos étreintes me manquaient. Je craignais que le temps ne nous recouvre. Il avait marqué ma ville et mon quartier. Je lui écrivais la nuit afin de le ramener à moi dans le silence. Je portais une mémoire de nos gestes, me déplaçant dans mon appartement comme si je devais tenir compte de sa présence. Mon écriture était si lente que je décidais d'un nouveau voyage. Il me semblait devoir vivre avant d'écrire."
Nina Bouraoui. Appelez-moi par mon prénom.