31.8.09

Ma rentrée littéraire (1 : Paris au mois d'août de René Fallet )

"A propos, Simone, demain matin, au petit déjeuner, je prendrai du thé"

Mes lectures de l'été n'ont rien à voir avec l'actualité.
Au contraire : elles ont, parfois, le charme irrésistible du désuet, le parfum de la France des années 60 et de la cuisine au saindoux.
Dans Paris au mois d'août, il fait chaud dans les rues de la capitale. Simone, partie en vacances pendant un mois avec les enfants, a conseillé à Henri de se cuisiner des steaks plutôt que de manger des conserves tous les jours.

"Chaque vendeur de la Samar a ainsi en lui un recoin où s'épanouissent un pétunia en pot, ou un poisson rouge, ou l'étonnement d'un enfant, ou une pointe de sein, ou une lumière d'ancien tango, ou un pigeon blanc. Les vendeurs de la Samar, et les autres. Pas même besoin, pour cela, au juste, d'être vendeur. Et cette sauce intime fait passer les gouvernements, les patrons, les polices, les interdit de marcher sur la pelouse et les ennuis d'argent.
Plantin -qui ressemblait en outre à Aznavour- conservait dans la vie courante un sourire professionnel qui n'était pas dénué de tout charme, ajouté à une certaine prestance dite "d'officier" aux temps où ceux-ci étaient gardés pour la Revanche. Il avait dans la voix les musiques des Halles, des frites, de la Rambute, de la Quincampe et du Topol, du pavé natal, accent facile, coulant comme Seine sous le Pont Neuf, et qui fait du Parisien le dessus du panier des casernes."


Henri reste à Paris, travaille au rayon pêche de la Samaritaine, joue au tiercé, rencontre ses copains... Puis il croise Patricia sur le quai de la Mégisserie.
Au bout de l'été, il lui reste le souvenir de la belle Anglaise qu'il a aimée. Un souvenir pour tout le reste de la vie, n'est-ce pas cela dont on dit que c'est mieux que rien ???

"Quand le corps n'y est plus, ce n'est pas lui qui vous demeure mais un geste, une façon de tenir une cigarette du bout des doigts, un accent pour dire "il va pleuvoir", une moue, un regard aux étoiles, ou à un chien. On ne sait pas quoi demeurera; si nous le savions, ces amours perdraient leur plus belle raison de naître.
"Ce n'est pas une femme, songeait-il, c'est autre chose, c'est mieux que cela, c'est mon amour".

30.8.09

Vert, décidément


"-Vous voyez ! ça se prive de viande et de tout, ceux-là, pour pouvoir envoyer des cartes postales à des paumés comme eux. Paumés, va ! Moi, je reste là mais, au moins, je mange mon escalope midi et soir. Parce que je digère plus que ça, l'escalope. Le beuf, ça m'alourdit. C'est que c'est gros un boeuf, c'est forcé, quand on y réfléchit."
René Fallet. Paris au mois d'août.

29.8.09

Vert macha


On pourrait ne pas avoir la tête remplie du bruit du monde depuis le matin qu'on apprécierait tout autant le calme, la sérénité du lieu et la saveur du macha qui nous remet à l'endroit.

28.8.09

L'heure douce


Ces rendez-vous-là, sans les noter sur mon agenda, je ne les oublie pas.

27.8.09

C'est jeudi !


Madame Gâ est débordée par ses vacances... Heureusement le jeudi, je suis sûre de recevoir de ses nouvelles ICI...

26.8.09

25.8.09

Tuesday self portrait (les jours avec Laurie)


"On rencontre parfois au cours d'un voyage des femmes qui ne sont touchées par aucun ennui. Elles trouvent leur joie à observer pendant une halte certains détails insignifiants. Elles paraissent loin de ce qui les entoure mais leur approche éclaire les choses et les gens."
André Dhôtel. Un soir...

24.8.09

23.8.09

Les interviews de Marguerite (7 : le voyou)


-Pourquoi avez-vous été transféré à titre disciplinaire de la prison d'Evreux à la Maison centrale de Poissy ?
-Pour avoir mangé des endives entrées clandestinement et avoir refusé d'en avouer l'origine. J'ai été transféré à titre disciplinaire à Poissy après de multiples incidents.

-On m'a dit que vous aviez fait plusieurs grèves de la faim.
-Oui. Cinq, dont deux de vingt-sept jours. Une, notamment, pour obtenir ma liberté provisoire. Ca ne m'a mené à rien. "Il peut bien crever", a dit le juge A...

-Qu'est-ce que vous avez connu de pire ?
-La section criminelle de Henri-Colin à ma première détention à Villejuif. J'y suis resté deux ans et demi. Je préférerais la guillotine tout de suite plutôt que d'y retourner. J'avais dix-huit ans quand j'y suis entré. C'était alors le bagne. Moi, j'y ai été interné pour démence précoce. Et les haricots et les pois cassés m'ont miraculeusement guéri. Il y avait très peu de fous.

-Qu'est-ce que vous avez fait le jour de votre sortie ?
-C'était le 9 janvier. Ma mère m'attendait à la sortie. L'après-midi, j'ai été avec une femme. Le manque de femme est terrible en prison, c'est peut-être ce qu'il y a de plus dur. La femme avec qui je suis allé a compris que je sortais de cabane parce que je me suis trompé sur les billets de mille, j'en étais resté aux billets bleus. Il y avait beaucoup de changements à Paris. La mode, par exemple. Les femmes étaient plus belles que dans ma jeunesse. La circulation était fantastique. C'est extraordinaire d'être dans la rue. Vous voyez, c'est dans la rue que je me dis qu'il serait dommage de remettre ça.

-Y a-t-il beaucoup de gens qui se suicident en prison ?
-Non. Très peu. J'ai connu un type inculpé pour une affaire de moeurs qui était hanté par le suicide. Il nous faisait chier avec ça. A la fin, on en a eu marre. On lui a conseillé de le faire.

-Il l'a fait ?
-Oui. Il y en a que le travail distrait. Moi, j'ai toujours préféré ne pas travailler. Je lisais un livre par jour.

-Qu'est-ce qu'un voyou ?
-C'est un type qui a une formation de voyou. Je ne peux pas vous la définir. Il faudrait illustrer la chose par une centaine d'exemples pour que vous arriviez à comprendre, pour arriver à une conclusion générale.

-A quel milieu appartenez-vous ? A un seul ? A plusieurs ? Vous êtes à la fois un intellectuel et un voyou ?
-Je suis un fils de bourgeois qui a bien tourné.
France-Observateur. 1957

22.8.09

Les interviews de Marguerite (6 : la carmélite)


"-Les deux heures de récréation sont les seules heures où les carmélites aient le droit de parler entre elles ?
-Oui. Le silence continuel est aussi une épreuve nerveuse assez forte. Mais remarquez que ce silence est "occupé". On travaille. On reprise du linge. On relie des livres, des missels -parfois du Claudel ou du Péguy-, on fabrique des hosties, des reliquaires, des images... Mais lire, il n'en est pas question. Seulement les livres de piété. C'est un vide intellectuel effrayant.

-Le travail ne peut-il compenser ce silence continuel ?
-Pas tout à fait. Le travail est une occupation physique qui laisse l'esprit libre. Il faut d'ailleurs le faire avec un esprit d'oraison. Cependant, quand on a à faire un travail compliqué, on est assez heureux.

-Pourriez-vous me dire encore un mot sur le seul moment où la règle du silence est levée, sur les deux heures de récréation ?
-La nullité des conversations est frappante. Toutes conversations personnelles devant être bannies, toute allusion à son passé devant l'être également, les carmélites ont entre elles des conversations de ménagères. Je crois que les femmes souffrent plus que les hommes de cette règle du silence.

-Ce que vous me dites me jette dans l'épouvante. Est-ce que c'est un mot impropre ?
-Non. C'est le mot. Il y a une panique, un vertige, à prendre conscience de ce vide. Heureusement, on n'en a pas continuellement conscience. C'est un risque énorme que de jouer sa vie sur un tel absolu. L'échec est tellement démesuré que sa perspective, seule, épouvante.

-Une fois sortie ?
-On a l'impression d'être dépouillée, nue. Mais on reste obsédée pendant très longtemps à la fois par le mode de vie et par l'idéal auquel on a renoncé, même si on a voulu absolument y renoncer. Parce qu'on a été totalement investie si on a vraiment tenté l'expérience -totale.

-Quel genre de nostalgie laisse l'amour de Dieu et quelle compensations possibles y a-t-il à cet amour ?
-C'est une attitude intérieure qui m'est devenue tellement étrangère que je peux difficilement en parler. Quand j'ai perdu la foi, j'ai souffert de ne plus prier. De ne plus avoir quelqu'un à qui m'adresser. Je ne vois d'équivalent à cela que le désespoir absolu et sans recours de la fin d'un amour."
France-Observateur. 1958

21.8.09

Les interviews de Marguerite (5 : Pierre A., sept ans et cinq mois)


"-Est-ce qu'il y a beaucoup de différence entre un homme et un animal ?
-Beaucoup.

-Lesquelles ?
-Les animaux ont quatre pattes, et les hommes ont deux pieds. Et puis il y a des animaux qui mangent des cailloux, on dit même qu'ils mangent des réveils. Je ne me rappelle plus du nom. Un nom comme "perruque". Les hommes, eux, ne mangent pas de cailloux.

-Est-ce que tu ne vois pas d'autres différence entre l'animal et l'homme ?
-Non.

-Tu ne penses pas que l'homme est plus intelligent que l'animal ?
-Si. L'homme est plus intelligent que l'animal. Dans les animaux, ce que je ne trouve pas bien, c'est le manque d'esprit.

-Est-ce que tu ne voudrais pas quelquefois rester petit ?
-Oui.

-Pourquoi ?
-Parce que, quand je serai grand, il faudra que je m'occupe de politique. Alors j'aime mieux avoir du temps pour réfléchir.

-Est-ce que tu te souviens du moment où tu as appris à lire ?
-Non. Mais il y avait des montagnes de cubes sur les tapis.

-Quel est le rêve que tu fais le plus souvent ?
-Que la maison prend feu. Et puis aussi que je suis riche.

-Qu'est-ce que tu ferais, si tu devenais très riche ? Tout d'un coup ?
-J'achèterais un palais. Et des armoires.

-Les journaux, tu les lis, parfois ?
-Quelquefois, des petits morceaux de journaux.

-Mais quoi, exactement ?
-Les histoires qui sont en bas des journaux, et les crimes. Mais jamais la politique.

-Je voudrais te demander une dernière chose : qu'est-ce que tu ne peux pas arriver à comprendre, du tout ? Dans tout ce que tu apprends à l'école ?
-Que la terre tourne. Je ne peux pas arriver à le comprendre du tout.
France Observateur. 1958

20.8.09

C'est jeudi ! (les interviews de Marguerite 4 : l'analphabète)


"-Y a-t-il des mots que vous reconnaissez sans savoir les lire ?
-Il y en a trois. Les mots des stations de métro que je prends tous les jours : Lilas et Châtelet, et mon nom de jeune fille : Roussel.
-Est-ce que vous les reconnaîtriez entre beaucoup d'autres ?
-Entre une vingtaine d'autres, je crois que je les reconnaîtrais.
-Comment les voyez-vous, comme des dessins ?
-Si vous voulez, comme des dessins. Le mot Lilas, il est haut presque comme il est large, il est joli. Le mot Châtelet, il est trop allongé, je trouve qu'il est moins joli. Il est bien différent du mot Lilas à voir.
-Lorsqu'il vous est arrivé d'essayer d'apprendre à lire, cela vous a paru difficile ?
-Vous ne pouvez pas vous rendre compte. C'est quelque chose de terrible.
-Pourquoi surtout ?
-Je ne sais pas très bien. Peut-être parce que c'est si...petit. Vous excuserez, mais c'est forcé, je sais pas non plus m'exprimer.
-Quelles sont vos distractions, le cinéma ?
-Non. Le cinéma je ne comprends pas. ça va trop vite, je comprends pas leur parler. Et, surtout, il y a trop d'écritures qui descendent. Les gens lisent des lettres. Après, les voilà bouleversés ou contents, alors je comprends plus. Je vais au théâtre.
-Pourquoi au théâtre ?
-On a le temps d'écouter. Les gens disent tout ce qu'ils font. Il n'y a rien d'écrit. Ils parlent lentement. Je comprends un peu.
-Vous oubliez parfois que vous ne savez pas lire ?
-Non, j'y pense tout le temps dès que je suis dehors. C'est fatigant, ça fait perdre du temps. Pourvu que ça ne se voie pas, voilà ce qu'on pense tout le temps. On a tout le temps peur.
-Comment ?
-Je ne saurais pas vous dire. Il me semble que ça doit se voir, c'est pas possible."
France Observateur. 1957

Même si, dans ce pays, je connais de nombreuses situations analphabètes, j'ai l'immense bonheur de savoir lire.
Notamment les courriers que, tous les jeudis, Madame Gâ m'envoie ICI.

19.8.09

Les interviews de Marguerite (3 : le directeur littéraire)

-Y a-t-il une répartition géographique de la littérature en France ?
-Non, elle est à la fois très dispersée, et très égale. On écrit partout. Il y a au moins un écrivain virtuel dans chaque petite ville. Dans une ville de 80000 habitants, il faut en compter quatre ou cinq. Orléans, par exemple, sans compter les fermes isolées. Quand un lecteur (d'une maison d'édition) traverse la France, il sait que dans telle ville, à telle adresse, habite un monsieur qu'il connaît très bien sans l'avoir jamais vu.

-Quel est le pourcentage de la littérature éditée ?
-Un pour cent environ. Quatre-vingt-dix-neuf manuscrits sur cent environ retournent à jamais à leur auteur.

-Peut-on classer grosso modo ce monstrueux rebut ?
-Oui. On peut tout d'abord parler d'une littérature brute. Elle occupe le tiers des manuscrits. Beaucoup de retraités, dans cette catégorie-là, des retraités de carrières coloniales précisément, puis des officiers, des fonctionnaires. Leur défaut commun est de penser : "Quel roman que ma vie", et de ne pas savoir distinguer ce qui a un intérêt général et ce qui n'est que souvenir à usage familial. Ils ne parviennent pas à donner à leurs écrits un intérêt général. Beaucoup écrivent afin de corriger des lieux communs dans l'esprit du public .
A côté des retraités, les philosophes réformistes. Il y en a beaucoup. Je parle des autodidactes délirants. Ils inventent des systèmes très cohérents qui leur demandent des années de mis au point et à partir desquels on doit pouvoir remédier à tous nos maux, arriver à avoir une bonne république, une bonne monnaie, un bon équilibre moral, etc.

-Le critère, dans cette sous-catégorie, n'est-il pas parfois délicat ? Pourquoi pas eux, plutôt que, par exemple, à l'origine, Fourier avec sa commune sociétaire ?
-Parce qu'aucun de ceux-là ne tient compte de la réalité, d'une part. Et que, d'autre part, ils sont d'une inculture certaine, mais philosophante. Ils ignorent tout de leurs prédécesseurs. Plus c'est absurde, plus l'auteur est véhément, persuadé de son génie. Ce sont des gens qui doivent bouillir et tellement qu'on ne pense pas sans inquiétude à leur voisinage. Surtout les ruraux. Parfois, on pense même que l'on devrait prévenir le garde champêtre de faire attention à tel individu.

-Est-ce que les auteurs de cette littérature brute ignorent parfois jusqu'aux usages de l'édition ?
-Souvent. Il y a quelques années, un homme est venu me vendre un manuscrit. Il voulait se faire un peu d'argent, disait-il, parce qu'il quittait "la patronne". Il comptait sur ce manuscrit, qu'il portait dans sa malle et tenait à me le vendre, brut, séance tenante. La lecture en était, de son point de vue, secondaire.

18.8.09

Tuesday self portrait (les interviews de Marguerite 2 : Georges Bataille)


-Peut-on dire de la souveraineté, d'après Nietzsche, d'après vous, que c'est une voie ouverte et sans issue ?
-On peut dire que la seule chose possible dans la souveraineté c'est que l'image qu'on se fait d'un homme digne de ce nom puisse ne pas être limitée.

-Quelles sont les voies de cette souveraineté cependant ?
-Sur cette voie on trouve tout de suite Dieu. Mais il n'est pas possible de tenir compte du Dieu dont l'existence est au-dessus de la sienne propre. Mais Dieu est néanmoins une indication précise de ce qu'il faut réaliser en soi-même. Se mettre dans la situation de Dieu est une situation tellement pénible qu'être Dieu est l'équivalent du supplice. Car cela suppose que l'on est d'accord avec tout ce qui est, d'accord avec le pire. Etre Dieu c'est avoir voulu le pire. One peut pas imaginer que le pire pourrait exister si Dieu ne l'avait pas voulu. C'est une idée plaisante comme vous le voyez. Et comique. On ne peut pas réfléchir sérieusement sur Dieu sans être frappé par un sentiment de comique si profond qu'on serait excusable de ne pas s'apercevoir que c'est comique.

-Vous riez ?
-Oui. Si vous voulez, l'idée que je me fais de la présence de Dieu c'est une idée non seulement joyeuse mais l'analogue d'un vaudeville à situations, genre Feydeau. Rien ne vous vient à l'esprit dans l'oeuvre de Feydeau qui pourrait illustrer ça ?

-Je cherche... non... et vous ?
-Rien non plus. Mais vous savez je me passe généralement de me réprésenter les choses concrètes. Et d'ailleurs je peux rire de Dieu sans lui demander de me jouer les mêmes tours que les personnages de Feydeau.
France-Observateur .1957

17.8.09

Les interviews de Marguerite (1 : les enfants du spoutnik)

Si Marguerite Duras n'avait pas que des qualités, tous ceux qui l'ont connue s'accordent néanmoins à dire qu'elle était curieuse, qu'elle s'intéressait énormément aux autres.
C'est ce que montrent les interviews qu'elle a réalisées pour divers journaux qui sont réunies, ainsi que ses articles, dans Outside, un livre paru en 1981.
On peut encore entendre sa voix sur France culture et lire ici quelques extraits de ses rencontres.

-Qu'est-ce que le spoutnik ?
-J.M. 10 ans : C'est une fusée. Mais à l'école, c'est une insulte.
F.A. 6 ans : C'est un rond qui tourne autour de la terre, gros comme une chambre.

-Irez-vous dans la lune ?
-Tous : Oui (sauf J.M.)
J.M. : J'ai tout mon temps pour réfléchir à y aller ou non.

-Est-ce que vous y passerez vos vacances ?
-Tous : Non.

-Pourquoi n'y passeriez-vous pas vos vacances ?
-L.D. 9 ans : C'est pas intéressant, il n'y a même pas d'air.
-E.L. 9 ans : On ne peut pas se promener. On a quatre-vingt kilos sur le dos, et tout ce qu'on voit, c'est des crevasses. On reçoit des météorites sur la gueule.
-L.D. 9 ans : Il n'y a même pas de gibier, rien à manger.

-Y a-t-il des choses que vous préféreriez voir plutôt que la lune ?
-F.A. 6 ans : Les villages russes, les villages hongrois, et tout ça.
-E.L. 9 ans : Tahiti, et les îles Sous -le-Vent.
-N.R. 11 ans : Le fond de la mer.
-J.M. 10 ans : Une planète deux fois plus chauffée et avec de l'air où on irait en vacances. Mais avant le monde entier.

-Comment vous imaginez-vous l'espace ?
-F.A. 6 ans : Tout blanc.
-N.R. 11 ans : Tout noir.
-E.L. 9 ans : Comme une masse noire qui devient lumineuse toutes les deux heures.
-J.M. 10 ans : Immense, gris, extraordinaire, incompréhensible avec l'organe de notre tête.
France Observateur. 1957

15.8.09

13.8.09

C'est jeudi !


Au coeur d'une semaine sans parole, je ne reste toutefois pas sans voix lorsqu'il s'agit d'écrire à Madame Gâ et notre correspondance est, comme tous les jeudis, à lire ICI.

12.8.09

Ghost city




10.8.09

9.8.09

Les courriers de l'été (7 : les jours sans)

"Je me réveille et je pense à toi et te sens, je m'endors et je pense à toi et te sens, le jour passe avec le travail et les réalités qui m'absorbent, et je pense à toi et te sens, à tout moment, dans chaque activité, toujours tu es là. Je crois que c'est comme ça depuis des années et des années déjà, certes pas avec cette force et cette nécessité, mais c'était là en quelque sorte de façon latente, à la limite de la conscience. Maintenant c'est le centre, le centre ou plutôt le noyau à partir duquel tout le reste devient simplement possible. Le reste, le reste est possible : je peux vivre, et je vis avec la souffrance, avec la nostalgie. Je ne sais pas où cela peut mener. Je me demande souvent comment mes excès peuvent être supportables pour toi, pour nous, pour moi. Je suis presque sûre que partager le quotidien nous serait presque insupportable. Je connais mes limites et mes difficultés, et j'ai été amenée à sentir les tiennes, je sens tes limites même maintenant à travers ton silence.
Mais il doit bien y avoir une certaine forme de réalité que nous puissions partager. Je crois, je sais que mon besoin de toi, au-delà de toute faim, au-delà de ma soif de toi -qui est là et profondément là-, mais au-delà de ça, je crois, je sais, j'espère aussi, qu'il y a beaucoup de choses -tournées vers toi-, une grande capacité de donner, de me tenir à tes côtés, d'éprouver avec toi -par-delà mon besoin et mon vouloir-, une manière d'être là pour toi."
7.11.1969
Lettre de Ilana Shmueli à Paul Celan


J'ai mis du temps à aimer les dimanches. Le temps que leurs soirées ne soient plus associées aux devoirs non faits, aux leçons non sues puis, plus tard, aux copies pas encore corrigées.
Mais, toujours, les dimanches ont le goût des journées imparfaites, des journées privées de l'espoir de recevoir du courrier.

8.8.09

Les courriers de l'été (6 : le poulet roti)

 Paris le 21 janvier 1930


Chère Madame,

Non, je ne suis pas fâché, non plus malade. Je suis mal tourné, voilà tout, ce qui m’arrive souvent. Dans ces moments-là tout me déplait : la vie, les autres, moi-même encore plus. Je suis tout entier au seul vrai plaisir que je connaisse : grogner contre tout, envoyer tout au diable, me ficher de tout, n’avoir qu’un désir : silence, et seul. Si vous voulez le savoir, c’est mon état d’esprit le plus général. Je lui dois de grandes jouissances, si drôle que cela puisse vous paraître.
Il faut vous résigner : ne comptez pas sur moi. Aucun rapport avec l’état d’esprit ci-dessus. Mais vous me gâtez trop. L’habitude me manque, et le loisir, pour me donner ainsi des distractions. J’ai passé ma vie enfermé, retiré. Le pli est pris, sérieusement. Comme il s’accorde avec mon caractère, aucun espoir de changement. Songez aussi que je n’ai à moi que mes soirées. Il me faut me les garder comme j’ai toujours fait. Là-dessus je transigerai encore moins. Vous croyez me séduire en me parlant de la société de eux jolies femmes ? Je n’aurais pas les raisons que je vous expose que vous m’en donneriez là une fameuse. Je ne suis plus à l’âge auquel on accourt se montrer aux jolies femmes. Je suis à l’âge auquel on se cache d’elles. A regret, certes, mais sagement.
(…)
Vous avez été charmante de m’adresser vos vœux. Je suis, au moins sur ce point, un être privilégié. A cette époque de l’année, je n’ai ni visites à faire ni à recevoir, ni lettres à écrire ni à lire.

Paul Léautaud. (Lettre à Mme Benjamin Crémieux)


Madame,

après vous, je me suis obstinée dans ce schéma qui m'en a fait connaître d'autres, des femmes comme vous.
J'ai, en effet, persisté un moment à tomber amoureuse de garçons dont la première des qualités n'était pas la réussite scolaire.
C'était un fait avéré et, pourtant, vous sembliez le découvrir.
Peut-être était-il pratique -bien qu'à mon avis, très malhonnête- de me tenir, moi encore adolescente, pour responsable d'une situation que vous et votre mari appeliez "échec".

Si vous avez été la première, vous n'avez donc été ni la seule ni la pire.
L'une d'entre elles méconnaissait le programme de philosophie et pour cause : son fils n'était pas destiné à passer en terminale un jour. Au lieu de m'être reconnaissante de la culture générale que je lui permettais d'avoir, elle m'avait rangée du côté du diable parce que je lisais Sartre...

Je ne regrette en rien les moments que j'ai vécus avec votre fils mais ne regrette pas davantage de ne pas l'avoir épousé.
Car alors, il aurait fallu régulièrement aller manger chez vous le dimanche midi, vous complimenter sur la cuisson du poulet et tâcher d'oublier que seule mon écriture difficile à déchiffrer avait préservé de votre lecture indiscrète et soupçonneuse les lettres que je ne vous avais pas adressées.

7.8.09

Les courriers de l'été (5 : la fille sur le pont)

"Je me réjouis de la publication à l'étranger de Pays de neige et de Nuée d'oiseaux blancs. Même les Américains sont loin d'être des imbéciles, et je pense qu'ils comprendront ce qu'il y a à comprendre. Est-ce que ce ne sont pas plutôt les Européens, avec leur rigidité d'esprit, qui manquent de souplesse pour appréhender la littérature japonaise ?
(...) Avez-vous lu
Etude à propos des chansons de Narayma, ce livre dont on parle beaucoup en ce moment ? C'est un roman écoeurant, à vous donner des cloques, le simple fait de toucher le numéro de Chûô Kôron dans lequel il est paru me dégoûte, il paraît qu'il va bientôt être porté à l'écran, mais il n'est pas question que je passe devant les salles de cinéma où il sera projeté : une littérature comme celle-là, bonne à provoquer des nausées, je trouve que c'est un peu un manquement aux règles.
(...) Tandis que j'écris cette lettre, un chat de près de 4 kilos dort sur mes genoux, il est aussi lourd qu'un haltère.
A l'approche des premiers froids, surtout prenez bien soin de votre santé."

15 décembre 1963. Lettre de Mishima à Kawabata.


(photo de Pays de Neige) 


Cher E.,

et quand bien même serait-on curieux de le savoir, il ne serait pas aisé de demander à un amour ancien, croisé par hasard et pour la première fois depuis tout le temps passé à ne plus l'aimer: "qu'as-tu fait de mes lettres ?"
Au moins toi, tu le sais. Et tu as pu imaginer la scène de la jeune fille aux cheveux mi-longs, la jeune fille en colère qui, depuis le milieu du pont, a jeté un à un tous tes serments dans le Cher.

Que s'était-il passé dans sa vie ce soir-là ?
Le sac était-il prêt à être jeté depuis quelques jours ou avait-elle consacré le dimanche entier à faire table rase de son passé ?
J'ai oublié son prénom et je ne l'ai jamais connue.
Quand bien même aurait-elle été debout devant moi, dans la boulangerie que je ne fréquentais que les jours de paresse car c'était la plus proche mais qu'elle sentait mauvais, comment l'aurais-je su ?
Dans la rue Lamartine, les maisons étaient basses mais un an n'était certainement pas suffisant pour en croiser tous les habitants.
Je n'ai donc jamais su qui elle était.
Mais ce dimanche soir, revenant d'Orléans, mon sac empli de provisions et de linge propre me sciant l'épaule, j'avais vu la poubelle éventrée, répandue sur le trottoir.
J'avais posé mon sac, rangé les produits frais puis étais ressortie, avais ramassé quelques enveloppes qui portaient son adresse.

S'étaient-elles fâchées ? Etaient-elles encore intimes ? Avaient-elles une chance de se croiser, un jour, rue Lamartine, rue Rambuteau, rue Erasme ou ailleurs dans le monde et que son amie lui demande : "qu'as-tu fait de mes lettres ?"
J'en ai quelques unes, seulement quelques unes.
Je ne les ai pas jetées. Dans l'une des enveloppes il y a une photo. Un homme jeune, les mains menottées.
De quoi commencer une enquête, en somme.

C'est une anecdote que tu connais, bien sûr. Mais peut-être l'avais-tu oubliée ainsi que la boulangère à l'air revêche et aux croissants décevants. Autant que ceux de la boulangerie des géants.
Mais ça c'est une autre histoire et nous en parlerons peut-être demain.

Je t'embrasse, à demain.



6.8.09

Les courriers de l'été (4 : la carte postale du jeudi)


"-Je ne vous demande pas de m'envoyer la moindre carte postale, dit-elle.
-Je n'en écris jamais, répondit-il. C'est lassant."
André Dhôtel. Un soir...

Heureusement, Madame Gâ n'est pas de cet avis. Et c'est sans se lasser qu'elle m'écrit et que je lui réponds dans la boîte aux lettres de nos jeudis.

5.8.09

Les courriers de l'été (3 : la riboulade)

Paris, 13 février 1946

Menu.

Potage Germiny paillettes.
Saumon de la Loire Impératrice.
Cœur de filet strasbourgeoise Pommes Maxim’s.
Pointes d’asperges nouvelles en salade.
Soufflé glacé à la royale.
Petits fours.
Fruits.

Jean chéri,
Il y a sans doute une discrétion très louable dans cette façon de nous recevoir. Quand les grands se font petits, ils font bien les choses. Etant petite, je n’en ai pas tant au service de mes amis. Néanmoins, pour citer un mot de feu mon père (encore un coup de feu dirons-nous) : « Tous les piques ne valent pas un pique-nique. » C’est pourquoi je suis d’accord avec toi. Déjeunons sur l’herbe, mangeons quelques bons petits produits de chez nous, langues de truites et millet. Je n’ose en parler à mes voisins, l’un est pris au laceau des notes, et de la note, et l’autre pense à se déboutonner. Dînons en plein air de notre musique, à trois, Nora, toi et moi. Diana ne payera pas un rond. Je me charge d’emporter vaisselle, verres et argenterie. Compte sur moi. A toi de tout cœur.
Louise.

Correspondance de Louise de Vilmorin et Jean Cocteau


Chère R.,

cela pouvait paraître exagéré de s'écrire en plus de se voir plusieurs fois par semaine alors que, après tout, seulement quelques kilomètres nous séparaient. Mais depuis le début de notre vie et jusque là, seul le couloir entre nos chambres nous avait éloignées l'une de l'autre...
De quoi parlaient nos lettres si ce n'est de nos lectures, des musiques que nous écoutions, de nos amours... Les tiennes contenaient également des descriptions de plats en conserve qui n'avaient jamais franchi le seuil de la maison familiale... Ce n'est qu'à la fin de nos vies étudiantes que nous avons commencé à échanger des recettes de cuisine et planifié le menu des fêtes qu'on passait ensemble...
Si une raison ou une autre nous rendait célèbres, il faudrait prévoir quelques volumes pour l'intégrale de notre correspondance car ce n'est finalement qu'à la naissance de tes enfants que nous avons quasiment renoncé au courrier, lui préférant l'immédiateté des mails. (Mais je ne peux pas leur en vouloir puisqu'ils m'envoient, à présent, des dessins drôles et dédicacés !)
Cartes postales de tes étés, petits mots d'encouragement pour m'aider à surmonter mon adolescence ou plus longues "bafouilles" comme tu appelais tes lettres... Je garde tout à disposition de ton biographe...
Quelques missives, cependant, me font défaut... En effet, lorsque nous habitions au Parvis de la Treille, nous avions très régulièrement des problèmes de courrier. Le journal quotidien auquel nous étions abonnés ne nous parvenait qu'irrégulièrement et tu me parlais de lettres que tu m'avais envoyées que je ne recevais pas. J'avais de grandes raisons de soupçonner la factrice d'être cleptomane car une fois, un de tes envois m'était parvenu... sans son enveloppe ! Ce qui m'avait aussi stupéfaite que le jour où on m'avait volé mon antivol sans toucher à mon vélo !
Un jour qu'E. était particulièrement excédé, il avait téléphoné à la poste comme cela lui arrivait régulièrement de le faire pour réclamer. Il était outré en raccrochant : le postier avait prétexté un tremblement de terre pour écourter la conversation ! On avait pensé que l'heure était grave si nos interlocuteurs commençaient à user de mensonges improbables pour éviter de rechercher les causes de notre problème récurrent... Mais, le soir, nous avions entendu à la radio que, en effet, pour une raison inconnue, les tours qui abritaient la poste de la ville avaient été évacuées après qu'une secousse avait été ressentie !
A présent, j'habite dans un pays sujet aux tremblements de terre où le facteur est assez aimable pour déchiffrer mon adresse écrite dans un alphabet qui ne lui est pas si commun et j'espère qu'un de ces jours il déposera dans ma boîte une carte de tes vacances.
Je t'embrasse.

4.8.09

Tuesday self portrait (Les courriers de l'été 2 : la lettre d'amour)

Le 3 juin 1977.
et quand je t'appelle mon amour, mon amour, est-ce toi que j'appelle ou mon amour ? Toi, mon amour, est-ce toi que je nomme ainsi, à toi que je m'adresse ?
quand je t'appelle mon amour, est-ce que je t'appelle, toi, ou est-ce que je te dis mon amour ? et quand je te dis mon amour est-ce que je te déclare mon amour ou bien est-ce que je te dis, toi, mon amour, et que tu es mon amour. Je voudrais tant te dire

Le 3 juin 1977.
et toi, dis moi
j'aime toutes mes appellations de toi et alors nous n'aurions qu'une lèvre, une seule pour tout dire
de l'hébreu il traduit "langue", si l'on peut appeler cela traduire, par lèvre. Ils voulaient s'élever sublimement pour imposer leur lèvre, l'unique, à l'univers. Babel, le père, en donnant son nom de confusion, multiplia les lèvres, et c'est pourquoi nous sommes séparés et que moi je meurs à l'instant, je meurs d'envie de t'embrasser de notre lèvre la seule que je veuille entendre

Jacques Derrida.
La carte postale.

Mon amour,

ce que ne disent pas les livres d'histoire, c'est que Monsieur Morse avait rencontré une jolie blonde quelques jours avant d'inventer son alphabet, que le premier pigeon voyageur a été dressé par l'amant d'une belle au mari jaloux, que Madame Bell était sourde mais avait une très jolie voix que son mari, en fréquents voyages d'affaires voulait pourtant entendre et que QWERTYUIOP, le 1er mail envoyé par Ray Tomlinson, était un code convenu pour signifier à sa fiancée qu'il était fou d'elle.
Je suis persuadée que c'est l'amour qui fait créer de nouveaux moyens de communication. L'amour et le manque.

Quant à moi, privée d'adresse où libeller une enveloppe à ton nom, je dédie une semaine à la correspondance pour pouvoir te dire ici combien je t'aime.

Oui, je t'aime tant.

3.8.09

Les courriers de l'été (1 : les pays lointains)

Kobenhavn, den syttenden oktober (en réalité septembre)

Cher Monsieur Queneau,
On fait ici des études de la langue étrangère. Mais le plus fort c’est que la bibliothèque publique de Malmö possède Zazie in French. Ça m’en a de coins bouché deux.
Je vous espère très bien rentrés de Cerisy et vous présente, et à Madame Queneau, mes meilleures amitiés.

André Blavier


Chère F.,

tu m'écrivais de Tanzanie, tu me racontais qu'un jour, vous aviez stoppé net et étiez descendus de la voiture avec beaucoup de précautions pour vous approcher un peu plus de la lionne qui allaitait ses petits au milieu de la route.
Tu m'avais écrit également que des Massaï assistaient à tes cours et j'avais imaginé une rangée de garçons torse nu, munis de boucliers et de lance, debout et attentifs au fond de la salle...

Il faut dire que je ne voyage pas et que je n'ai pas la télévision aussi ma vision du monde est parfois archaïque ! Quand il est question de l'équipe de foot égyptienne, par exemple, j'ai du mal à penser à ses joueurs autrement qu'en jupettes et courant de profil...

Je sais que, cette fois, tu n'auras pas le temps de m'écrire. C'est dommage car, de ton nouveau pays d'accueil, je n'ai en tête que des clichés : des images de saris colorés, des parfums de curry et d'autres épices variées et je me dis que s'il t'arrive à nouveau de contourner un animal sur la route, ce sera sans doute une vache.

Ce que je me figure assez bien, en revanche, ce sont tes premières impressions : dépaysement profond, accablement à cause de la chaleur humide, perplexité d'analphabète...
Des premières impressions sans doute très proches de celles que j'ai ressenties en arrivant ici, il y a exactement quatre ans.

Je pense à toi, te souhaite bonne chance et t'embrasse.

2.8.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (7 : les animaux)


"Les animaux, comme les enfants, ont peu de patience et une faculté d'attention limitée.
Avant de mettre votre sujet en scène, réglez votre appareil et soyez sûr d'être prêt à photographier.
L'idéal est d'arriver à faire tenir l'animal en place et d'en obtenir des expressions émouvantes et joyeuses. Provoquez des attitudes : un bruit fera dresser l'oreille de votre modèle et lui donnera un regard vif."
Guide de la photographie Kodak. (1983)

Parfois, j'entrais dans le salon et je ne le voyais tout d'abord pas et, le découvrant, je sursautais tellement je ne m'y attendais pas.
Parfois, il me regardait, à la manière d'une chouette, clignant à peine des yeux.
Parfois, il ne me manifestait aucune attention et restait immobile, le regard dans le vide ou les yeux fermés.
Je ne savais ni depuis combien de temps il était ainsi ni combien de temps il allait le demeurer.
Et pourquoi à cette place, toujours la même, sur ce meuble rarement rangé où s'entassaient les disques qu'on ne rangeait pas après les avoir écoutés, les livres empruntés et en cours de lecture... et où il avait à peine la place de s'asseoir.
Il jouait les chiens de faïence, les statuettes égyptiennes.
Parfois, je quittais la pièce aussitôt, le laissais tenir la pose.
Parfois, je ne pouvais pas m'empêcher de m'approcher, de lui parler, de le caresser.
Dans tous les cas, j'avais l'impression d'avoir cassé un charme, d'avoir interrompu une méditation.

Je me suis toujours demandée s'il remarquait mes sourires.
Je me suis toujours demandée pourquoi, dès que je sortais mon appareil photo pour figer ses expressions, Médor avait systématiquement autre chose à faire au même instant.

1.8.09

Règles de base pour réaliser de meilleures photos (6 : la présence humaine)


"Si vous photographiez des monuments, des paysages, des restaurants, ajoutez à la scène votre famille, des membres de votre groupe de voyage et demandez aussi aux gens du pays de se joindre à vous. Vous apprécierez au retour la chaleur de ces moments."
Guide de la photographie Kodak. (1983)

Mes collègues, même s'ils avaient trouvé étrange que j'aille en vacances à Verdun, avaient demandé à voir mes photos.
Sur mes images en noir et blanc, ils avaient vu un sous-bois, le jeu du soleil sur les creux et les bosses.
J'avais expliqué que le village avait été détruit par les bombardements. La nature, tant de temps après, à la manière du visage des gueules cassées, en était restée marquée. Les reliefs dans le bois n'étaient en rien naturels, ils résultaient tous de l'impact des obus.
Après la guerre, les habitants avaient choisi d'aller vivre ailleurs mais avaient fait de ce sous-bois un lieu de mémoire : le sentier sur lequel nous avions marché était l'ancienne route le long de laquelle s'organisait la vie du village et des panneaux indiquaient l'emplacement du lavoir, d'une ferme, du maréchal ferrant...
L'endroit était parfaitement calme et, comme sur tous les sites de la grande guerre, régnait une ambiance de recueillement qui m'avait émue aux larmes.
Mon récit avait ennuyé tout le monde et j'avais réalisé que mes photos n'étaient pas réussies puisqu'elles ne pouvaient se passer de mon récit, qu'elles ne transmettaient rien de mon émotion.
J'avais réalisé surtout qu'il aurait été beaucoup plus approprié de rapporter des images de moi, posant devant un monument aux morts.

Je comprends donc parfaitement Jef et Yvonne qui se photographient à Pompéi.
C'est socialement si pratique de réunir sur le même cliché un aperçu de la météo, un monument évocateur de la région traversée et un sourire qui résume l'état d'esprit des vacances.