les balais de l'automne (3)
L'heure du coucher sent à nouveau les noyaux de cerises, quand la bouillotte tourne sur le plateau du four.
C'est l'automne qui fait alterner les jours doux ensoleillés et les banderilles froides de la grisaille.
C'est l'automne et il m'arrive de vaciller : aurai-je le courage de traverser cet hiver en attendant le mai le joli mai ? A d'autres moments, tout me parait pourtant si beau et tout aussi évident.
Alors, pour résister à tout, je verse de l'eau chaude sur le jus d'un citron, je m'enroule dans mes plaids et mes écharpes, je demande à Miles Davis de me rejouer "I thought about you" et je glisse quelques feuilles d'arbres épargnées par les balais entre les pages de mes livres dont les mots sont des talismans.
"Je pensais à tout ce qu'on ne pouvait saisir -les reflets de la lumière sur l'eau faisant comme des cristaux, la course des nuages, la naissance de l'aube. Je pensais à tout ce qui a de la valeur à défaut d'avoir des mots. Le langage ne pouvait tout couvrir et j'y voyais la raison de sa beauté. Je pensais au silence comme à une défaite. Il fallait baisser nos armes et embrasser la terre qui nous portait. Je pensais que le monde m'avait encore ouvert une petite porte sur la liberté. Je n'avais pas de la chance, j'avais ma chance. Je comparais l'existence à une lave chaude et dorée, coulant sous nos peaux, nous rendant sacrés. Je n'avais plus peur de perdre mon amour. Il me semblait posséder déjà un passé qui formait un rempart au danger. Nous n'étions pas uniquement en vie, nous étions à l'intérieur de la vie, dans ce qu'elle avait de plus beau et de plus incertain, de plus fragile et de plus puissant."
Nina Bouraoui. Appelez-moi par mon prénom.
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