19.5.07

Danse et reve

"Oh, vraiment, on n'est jamais ce qu'on est -pas tout à fait, pas exactement- quand on est seul et qu'on vit à l'étranger et qu'on parle constamment une langue qui n'est pas la sienne ou celle du début. Aussi longtemps que se prolonge le temps de l'absence, et qu'on n'en aperçoit pas le terme parce qu'il n'a pas été fixé dès le commencement ou qu'il s'est dilué et n'est pas déjà prévu, et en outre il n'y a pas de raisons de penser qu'un jour ce terme puisse se présenter ou être aperçu, et le retour qui s'ensuivra (le retour à cet avant qui n'aura pas attendu) et qu'ainsi le mot "absence" perde sens et enracinement et force à chaque heure qui passe et qu'on passe au loin -et alors cet autre mot lui-même, "loin", les perd aussi-, ce temps de notre absence s'accumule comme une étrange parenthèse qui au fond ne compte pas et ne nous héberge que comme des fantômes sans trace et commuables, et dont par conséquent nous n'avons pas non plus à rendre compte à personne, pas même à nous (ou du moins pas en détail, jamais complètement). On se sent jusqu'à un certain point irresponsable de ce qu'on fait ou de ce dont on est témoin, comme si tout faisait partie d'une existence provisoire, parallèle, étrangère ou prêtée, fictive ou quasi rêvée -ou peut-être est-elle théorique comme ma vie tout entière; comme si tout pouvait être relégué à la sphère de ce qui est simplement imaginé et jamais arrivé, et bien entendu de ce qui est involontaire; tout cela jeté dans le sac des figurations et des soupçons et des hypothèses, et même dans celui des simples rêves insensés, au sujet desquels il y a toujours eu un insolite et quasi permanent et universel consensus tout au long des siècles dont on ait gardé la mémoire, conjecturée ou historique, fictive ou certaine : ils ne dépendent pas de l'intention de celui qui rêve, et celui-ci n'est jamais coupable de leur contenu."

Javier Marias. Ton visage demain (II). Danse et rêve.

Il faut être disponible, entièrement disponible, pour lire Javier Marias. Il faut pouvoir s'installer dans ses phrases longues et sinueuses, oublier de se demander où il nous emmène mais se laisser prendre par la main par cet auteur majuscule, s'abandonner au rythme de sa langue, de ses digressions...
Pour suivre le narrateur de Ton visage demain, Espagnol vivant en Angleterre, il est, finalement, assez adapté d'être Française et de vivre au Japon.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Toujours tous les jours, vivre à coté des autres, ceux qui te regardent surtout quand ils t'écoutent

Toujours tous les jours, redire pour vouloir dire, réentendre pour comprendre

Toujours tous les jours, goûter avant de savourer, hésiter pour redemander

Toujours tous les jours, être témoin et s'entendre réapprendre

Toujours tous les jours, se savoir pardonné et souvent oublié

Toujours tous les jours, se savoir observé voire épié pas assez écouté

Toujours tous les jours, un peu EXilé, toujours EXcusé, tant EXpatrié, un peu EXcentré, parfois EXcédé, aussi EXceller, facilement EXcepté, parfois EXcécrer, parfois EXhibé, jamais EXiger ..

Toujours tous les jours, par tant de nouveautés, finalement, se savoir EXité, pouvoir danser et rêver ...

Pays de Neige

Anonyme a dit…

D'ailleurs, je reviens déjà!
Javier Marias... je ne connais pas, mais je connais bien les ces sentiment d'étrangeté, d'entre parenthèses...
Est-il traduit? (je sais, je pourrais chercher sur google ou autre mais...)

Bon dimanche, de l'autre côté de la planète...