10.4.09

Là je suis... (5)

Ils ne se rendaient certainement pas compte de la difficulté de l'exercice pour moi.
Car il ne s'agissait pas de simplement copier : mes voisins étaient abonnés aux quinze, seize, voire vingt et je ne pouvais ni prétendre à un tel résultat ni les mettre dans l'embarras qu'aurait provoqué la comparaison entre deux copies trop conformes.
Moi, je visais quatre ou cinq. Sans eux, j'aurais eu zéro.
Alors il me fallait copier mais, par amour propre, copier le moins idiotement possible. Faire croire à une erreur de raisonnement plutôt qu'à une erreur de résultat. Et cela me demandait des efforts incroyables tellement, à mes yeux, il s'agissait d'une langue étrangère. C'aurait pu être du chinois ou du persan, je n'y aurais pas davantage compris où était le verbe, quel était le complément. Je me demandais bien quel élément de la suite je pouvais supprimer pour atteindre la faute crédible.
L'enjeu était de taille : maintenir ma moyenne à quatre.
Cela rendait mon entourage perplexe.
Personne ne voulait croire qu'il ne s'agissait pas là encore d'une manifestation flagrante de ma paresse.
Mon père s'agaçait, ma mère se résignait. Ma soeur comprit le jour où elle fut chargée de me donner des cours et que, malgré ma bonne volonté, elle dut admettre que c'était impossible.
Aussi, j'ai été reconnaissante à ma prof de seconde -la première. La première seconde, je veux dire- de me déclarer inapte.
C'était un mot qui résumait enfin clairement les choses et me soulageait. Un peu à la manière d'un diagnostic qu'un médecin aurait enfin posé sur un mal ancien.
Un jour, elle me dit même d'écrire un poème plutôt que rien lors d'une interrogation qu'elle savait hors de ma portée.
Les autres profs de maths de ma scolarité n'eurent pas sa franchise.
Pas non plus celle de me dire, à l'issue des conseils de classe ou, j'en suis sûre, ils devaient le penser :
peut-être qu'il faudrait vous faire à l'idée, mademoiselle, peut-être qu'il vous faudrait penser à devenir :

Là je suis : quand j'ai dit à Mme Gâ que j'aimerais faire, un jour, un métier qui me permettrait de lui commander des cartes de visite, elle m'a prise au mot et m'a envoyé quelques propositions ... qui sont devenues, pour moi, une source d'inspiration !
Vous pouvez lire la série ICI
Pauvre Sophie Calle qui a dû, elle, se contenter de l'imagination de Paul Auster !!!

4 commentaires:

RS a dit…

Je les lis à rebours ... et j'aime bien ... j'ai l'impression de m'y reconnaître ... c'est toujours aussi juste, et ça fait du bien !

Un peu comme un baume sur une douleur ancienne, estompée par le temps, dont on pensait être débarassée, mais toujours bien présente, et qui ne demande qu'une simple évocation pour ressurgir, avec toujours cette même capacité de destruction !...

Pourtant, bien que la faute ?! de l'inaptitude soit systématiquement rejetée sur le seul élève, au motif que les autres n'ont pas de problème, la réalité est malheureusement qu'il s'agit d'un échec en matière de pédagogie, dont le prof a l'entière responsabilité

Gwen a dit…

tu as l'impression de t'y reconnaître... mais tu imprimes à mes textes un sens qu'ils ont rarement...
Tu as peut-être le sentiment d'avoir été détruit par quelque chose dans ta scolarité, tu parles d'entière responsabilité des profs... que les choses soient claires : il n'est pas question de cela dans cette histoire...
Manifestement, il t'est difficile de lire quelque chose sans y projeter ta vie et tes convictions...

RS a dit…

Etonnante remarque que "Manifestement, il t'est difficile de lire quelque chose sans y projeter ta vie et tes convictions...", eu égard au titre du post et plus encore au sujet que tu y développes.

Compte-tenu de ton autre remarque "mais tu imprimes à mes textes un sens qu'ils ont rarement... ", je te propose de supprimer mon commentaire, puisqu'il ne cadre manisfestement pas avec l'esprit de ta série.

Gwen a dit…

Je me suis mal exprimée, Raphaël : bien sûr qu'on imprègne nos lectures de ce qu'on est. Bien sûr que mes vies imaginées peuvent très bien te renvoyer aux tiennes -vécues ou imaginées.
Ce dont tu ne te rends sans doute pas compte, c'est que tes commentaires sont formulés non pas sur le mode d'un souvenir personnel mais plutôt sur celui d'une expérience générale (c'est l'usage du on qui fait cet effet là). Et sont toujours teintés d'un fatalisme, d'un pessimisme dont tu n'es peut-être pas conscient mais que je vois, moi (que je voyais sur tes commentaires plus anciens aussi) et qui me gênent quand tu sembles les penser partagés...
Je ne te connais pas mais ce que tu écris chez moi me donne cette image de toi : un garçon sensible, qui aimerait sauter de joie mais qui ne peut jamais se débarrasser d'un passé pas réglé dont la lourdeur le retient au sol...