2.7.08

Les longues vacances

Jenny a raison : il pourrait être inconséquent de négliger le choix du livre qu'on glisse dans sa valise, en partance pour un mois de vacances au Japon. Car, au cas où l'avion, sous prétexte de problème technique ou autre panne d'essence, s'échouerait sur la page blanche de Sibérie, on se souviendrait de la célèbre et énervante et insoluble question : quel livre emporterait-on sur l'île déserte ? Et on pourrait regretter, en attendant les secours debout sur un iceberg et en soufflant sur ses doigts, de ne pas y avoir davantage réfléchi au moment de boucler les bagages...

Je me pose la question du choix du livre tous les jours tellement mon sac pourrait s'apparenter à un sac de voyage : carnets, musique, manches longues, boisson fraîche, éventail, drap de soie... Qu'est-ce que j'y rajouterais si je partais en vacances ???
Je n'ai pas à répondre à cette question car je ne pars pas en vacances et j'habite sur une île.

Après les années outre-mer, il n'y a plus eu de locations : le jardin réclamait trop de soins en été pour qu'on parte en voyage en famille. Aussi, j'allais passer mes longues vacances dans la banlieue d'Arlon chez Papy et Mamy. Cet exil était volontaire. C'était le prolongement de ma vie ordinaire mais dans une autre routine que celle de l'école. Et puis, là-bas, je n'étais plus la petite dernière : j'étais fille unique.
Mon quotidien était fait de promenades à travers champs, de biscuits ou de tartes maison à l'heure du goûter, d'opéras en boucle, de verres de sirop de fraise, d'heures de rêves immobiles ou de lectures répétitives (toujours les mêmes livres, ceux de Maman ou de Christine que je relisais chaque été sans me lasser), de caramels mous, d'écriture de plus ou moins longues missives à destination de mes parents et mes soeurs, d'invention d'un magasin dans lequel je vendais essentiellement de la terre et des bouteilles d'eau colorée...
Le samedi, la minuscule Fiat nous transportait à Delhaize pour les courses de la semaine et nous longions les chars de l'allée jusqu'au mess des officiers pour y boire un verre d'Orangina et manger un biscuit LEO. Il y faisait toujours sombre et les canapés de style Chesterfield restaient frais quelle que soit la température extérieure.
A la fin de l'été, ma famille revenait me chercher, les bras chargés des reines marguerites qui célébraient mon anniversaire.

J'ai, finalement, su réinventer ma vie d'enfant en vacances dans ma vie adulte de tous les jours. C'est sans doute pour cela que j'éprouve si peu souvent le désir de rompre avec mon quotidien, de remplir un plus gros sac et d'acheter un billet d'avion...
Tokyo a remplacé la campagne pour le décor des promenades, je me remets à l'opéra, j'écris autant de mails que de lettres auparavant et je lis les livres que Maman m'envoie parfois.
En revanche, rien n'a remplacé, non rien ne peut remplacer toute la tendresse de Papy et Mamy.

Aujourd'hui, dans mon sac : Un privé à Babylone de Richard Brautigan pour en achever la lecture, ici ou ailleurs...

"-Ma, qué vous aimez drolément la moustarda, dit le vieil Italien. Qué vous dévriez commaneder oune sandwich avé solément dé la moustarda."
Il a ri en disant ça.
"Peut-être que le client suivant n'en mettra pas, j'ai fait. Peut-être qu'il aura horreur de ça. Qu'il ne peut pas encaisser la moutarde. Qu'il aimerait mieux aller en Chine que d'en mettre.
-Ma qué zé voudrais biéne, dit-il. Oh, fermer la boutiqua ! Plous dé sandwiches."
Le vieil Italien était le portrait craché de Rudolph Valentino, si Rudolph Valentino avait été un vieil Italien en train de faire des sandwichs et de se plaindre de ce que les gens mettaient trop de moutarde sur leurs sandwiches.
Qu'est-ce qu'il y a de mal à aimer la moutarde ?
Vaut mieux ça que de s'intéresser aux petites filles de six ans."

1 commentaire:

Ju a dit…

J'aime beaucoup ce texte, la nostalgie heureuse, la chaleur humaine qui émane de tes mots.
Joli.