27.6.08

Les tueurs de temps

"Dans ses Nuits de Paris, Restif de La Bretonne invective cette engeance d'inactifs, apparemment plus nombreuse à son époque qu'à la nôtre et qu'il nomme les "tueurs de temps". Il décrit longuement ce qu'il considère comme leur déchéance et leur prescrit le travail en tant que roboratif, en tant qu'antidote à ce qu'il croit être leur mal de vivre.
Restif aurait-il réagi comme il le fait, lui, le "flâneur des deux rives", s'il avait jamais pu prévoir ce que signifierait un jour l'industrialisation à outrance, la standardisation et l'uniformisation du travail, des moeurs et des consciences ?
Et qui donc à son époque aurait pu prévoir que cette fameuse Révolution française aurait pour effet ultérieur de renforcer les valeurs qu'il avait voulu combattre ? Qui donc aurait prédit la réapparition des souffrances rédemptrices chères à la chrétienté sous la forme du Travail élevé au rang de dogme intangible ? que ce travail lui-même, accéléré et propagé, point du tout diminué par les machines, connaîtrait une telle expansion, une telle vitesse incontrôlée, qu'il en deviendrait stérile, voire dangereux pour l'humanité ? que cette sur-productivité développerait une agitation tellement privée de sens qu'une majorité d'hommes ne feraient plus, sous prétexte de travailler, que de sacrifier la plupart des heures de leur vie à un ennui annihilant et en échange de biens matériels de plus en plus douteux ? que la consommation de ces biens matériels surmultipliés deviendrait elle-même une sorte de travail quasi obligatoire ? qu'enfin donc, la résistance consciente ou inconsciente à cet engrenage commencerait à devenir presque héroïque, ascétique. Ce seraient justement, par un extraordinaire renversement, les honnêtes travailleurs qui se transformeraient à leur insu en "tueurs de temps"?...
Denis Grozdanovitch. Petit traité de désinvolture.

J'ai pensé à Albert Cossery. Cossery, le chantre de la vie paresseuse et immatérielle qui disait qu'écrire une phrase par semaine, c'était déjà beaucoup. Cossery qui, à la question "pourquoi écrivez-vous ?" répondait : « Pour que quelqu'un qui vient de me lire n'aille pas travailler le lendemain »...

4 commentaires:

akaieric a dit…

Ou comment les fainéants deviennent héroïques... c'est vrai!

le consul a dit…

à condition de vivre dans les vallées fertiles

Anonyme a dit…

et bien moi je n'avais jamais entendu parler de ce bonhomme (quelle ignare !)mais c'est la photo chez le Consul qui m'a donné envie d'en savoir plus (quelle tronche magnifique !). Bref j'ai fouiné, noté qqs titres et voilà que ma soeur en rajoute une couche.
Décidément il faut ABSOLUMENT que je fasse connaissance !

Gwen a dit…

On a beaucoup parlé de sa mort et, pourtant, il était bon de le savoir vivant ! Vivant dans sa chambre d'hôtel, digne dans le dénuement, pratiquant son grand luxe à 80 ans : mater les filles à St Germain !