Les archives d'un samedi (moins) ordinaire
Les clameurs des terrains de sport montaient jusqu'à moi et, à intervalles réguliers, je voyais passer leurs corps jeunes et athlétiques. Leurs foulées rapides en même temps que nonchalantes m'ont donné l'envie fugitive de devenir, comme eux, musclée sans y penser et sans effort apparent...
Malgré tout, c'était quand même celui qui, indifférent au monde, était plongé dans son livre que j'ai envié le plus, en constatant que lui restait sur son banc au soleil alors que je devais quitter le mien.
J'ai aimé la voix de Christian Boltanski et ses mots pour raconter ses "archives du coeur". A Paris, il enregistre vos battements de coeur (jusqu'à demain à la maison rouge) et viendra les archiver sur l'île d'Ejima.
J'ai souri d'entendre "Yves St Laurent" associé au mot "poisson". Parfois, on est content de soi, n'est-ce pas ? Je l'ai été, en m'apercevant à temps que le fugu, ce poisson-poison, pouvait être le mot-clé, l'explication parfaite.
Parfois aussi, on lit dans les pages, des choses qu'on aurait pu écrire (en moins bien). Dans les mots de Gertrude Stein, j'ai reconnu mon rapport à la langue. Mon rapport au français.
"Au début de mes relations avec Gertrude Stein à Paris, je m'étonnais de ne jamais voir de livre français sur sa table, bien qu'il y eût toujours une masse d'ouvrages anglais; il n'y avait même pas de journaux français. "Ne lisez-vous jamais de français ?" lui demandais-je, et lui demandaient beaucoup d'autres. "Non, répondait-elle, vous voyez, je vis par les yeux, peu importe la langue que j'entends, je n'entends pas une langue, j'entends des timbres de voix et des rythmes. Au contraire mes yeux me font voir des mots, et des phrases, et il n'existe pour moi qu'une langue, l'anglais. Une des choses qui m'ont plu durant toutes ces années fut d'être entourée de gens qui ne parlaient pas anglais. Cela m'a laissée plus intensément seule avec mes yeux et mon anglais. Je ne sais si autrement j'aurais pu réussir à rester entièrement absorbée par l'anglais. La plupart des gens qui m'entouraient étaient incapables de lire un mot de ce que j'écrivais, et ils ne se doutaient même pas que j'écrivais. Non, j'aime vivre ainsi avec une masse de gens et demeurer toute seule avec l'anglais et avec moi-même."
Un des chapitres de The Making of Americans commence ainsi :
"J'écris pour moi-même et pour des inconnus..."
Gertrude Stein. Autobiographie d'Alice Toklas.
Et dans le train du retour, ce n'était pas sa voix qu'il y avait dans mon téléphone. Mais les mots qu'il m'écrit et qui me restent.
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