17.7.09

Suicide collectif


Les filles étaient souvent jolies mais le jeudi -brushings et mises en plis- à voir leurs mères, leurs grand-mères, on pouvait douter qu'elles resteraient minces. Jolies à 17, 18 ans mais qu'elles profitent du jean taille basse car, à l'heure de la pause, barres chocolatées et chips au distributeur... Et les produits marrons -à tartiner ou à faire pétiller dans la bouche- aux recettes secrètes. Le jeudi, donc, jour des ascendances, on constatait que le temps n'altèrerait ni leur impitoyable accent ni leur incroyable gentillesse, que leur sourire resterait permanent mais que leur taille et leurs bras seraient épais. Mais les corps sveltes s'empoisonnent tout autant. Toujours cette question : les industriels donnent-ils à manger à leurs enfants les bombes à retardement qu'ils empilent dans les rayons des supermarchés ? Arômes artificiels, conservateurs, sel, colorants pour une vie plus rose. Mayonnaise. Qui a décidé ce suicide ? Poulets frits, sauces grasses, biscuits bon marché. La mort industrielle. La mort du goût. Un chagrin ? Un abandon ? Un succès ? Consoler ou fêter. Cautériser à la crème chantilly. Célébrer aux bonbons gélifiés. Une récompense colorée. La vie rose. Le bonheur la bouche pleine. Je devrais, alors, être plus malheureuse qu'une autre. Légumes du jardin, fruits à profusion, viande fraîche, poisson, habitudes prises bien avant l'avènement du surgelé : la pizza était maison. Et le fromage, ah le fromage ! Le rituel auquel on ne déroge pas : le marché, une fois par semaine et tôt, on est là pour remplir le panier. Les chips associés aux tomates, oeufs durs et morceaux de baguette molle, les pique-niques collectifs des départs en car, des cars emplis d'enfants. Classe de neige, centre aéré. Cette vie-là n'était pas pour moi, la vie en communauté, la vie à manger des chips. Au lieu de ça, je me demandais quel en était le genre. Déjà préoccupée par le lexique. On réglait la question en parlant d'eux au pluriel. Stupéfaction, plus tard, d'en voir sur une table, autour du poulet. Et toujours, à l'heure de l'apéritif, goût pizza, goût bacon, goût chili. Tout de même oui, ces discussions tard dans la nuit, au retour de la Métaphore ou de l'Idéal. Mise en scène et jeu d'acteur. Chips au vinaigre et bière blanche. Marks & Spenser, c'était les souvenirs de Londres, une brève sensation de dépaysement. Mais, bien avant la fermeture des magasins, le retour des légumes. Exit les chips. A vie. Pomme de terre, huile, sel, appelle-t-on ça une recette ? Ici goût wasabi, goût crevette, goût barbecue. Toujours les mêmes paquets -le sachet crisse- abandonnés sur les aires de pique-nique bien avant le trou dans la couche d'ozone et encore maintenant pas recyclables. Dans le train, le garçon est encore jeune. Habitué à manger sans conscience. Les dimanches de l'enfance, alterner l'assiette de nouilles sautées, le cornet de crème glacée -vite avant que tout ne fonde- les frites en plein soleil. Ce serait tellement dommage de priver les enfants d'un aussi grand plaisir. Plus tard, lampées de saké et une viande panée en trois bouchées. Cette capacité qu'ils ont à la manger froide. En sandwich également. Dans le train, le garçon est encore jeune et le sachet crisse sous ses doigts. 8H42. Ici non, on ne jette pas les emballages sur la voie. Non mais parfois soi.
Les suicidés ont-ils mangé au petit déjeuner ?

6 commentaires:

le consul a dit…

comme disait ma grand-mère ; "miam miam +++"

elsia a dit…

Ma grand-mère à moi, elle mettait du sucre dans l'eau, jamais d'eau sans sucre, je me souviens du cube qui fondait, des petits coups de cuillère pour aller plus vite...
"Bec sucré" qu'on dit !
Ce qui n'empêche pas la lutte constante contre le gâteau en sachet, spécialité maternelle pour le coup, on se sauve la vie comme on peut.
C'est vrai que lutter contre sa mauvaise éducation, ça ressemble parfois à de la désintox : je me félicite tous les jours de manger une pomme, mais ça me paraît encore exceptionnel...
Ahlalala, mal barré, le bec sucré !

akaieric a dit…

C'est un peu déprimant avant le week end tout ça...

Gwen a dit…

non, monsieur le consul, votre grand-mère disait "miam miam miam +++" !!!
Redoutable, quant à elle, ta grand-mère, Elsia !!! La pomme est, dans ce cas, un vrai combat !!!
Déprimant, Akaieric ??? avant le WE ??? Pourquoi ça ??? Tu avais l'intention de te gaver de chips et de cotelettes grasses cuites au barbecue et ça te gâche le plaisir ???

Anonyme a dit…

Excellent post. Bien illustré.c'est affreux à manger, c'est affreux à voir. Peut-être déprimant, mais tellement vrai. J'aurais une proposition, Gwen : si tu nous parlais prochainement de délices gustatifs,de bonheurs légers et délectables - et japonais - ?

madame Gâ qui est en transit a dit…

magnifique texte ! (et le propos, forcement, du petit lait...)