La mémoire de la peau
Ce qui change, c'est :
-l'emplacement de la soie grise que j'étends sur l'herbe rase : non loin de la route inaccessible aux voitures.
-l'auteur et le titre du livre : Le théoriste d'Yves Pagès.
"Les bousculades, bris de vitrines, pillages, début d'incendie qui allaient s'en suivre m'ont évidemment marqué, mais c'était peu de choses, confronté à ma première expérience physique d'une insurrection verbale.
Tous ces mots majuscules, se moquant d'eux-mêmes pour mieux prendre au sérieux une colère à laquelle, sans en comprendre toutes les subtilités, j'adhérais épidermiquement comme on dit du motif d'un Malabar qui, humecté d'un peu de salive, vous colle à la peau quelques heures durant. Le moindre slogan barbouillé par ces furies décalcomaniaques me faisait l'effet d'un tatouage intime. Elles avaient sûrement d'autres idées en tête, mais pour moi, c'était le frisson d'une nouveauté radicale : vider le trop-plein de sa tête directement sur les murs. Afficher ses pensées sur la voie publique, sans passer par la queue leu leu des petits caractères d'imprimerie qui, à force de respecter l'ordre des lignes, des paragraphes, des chapitres, transforment la lecture en file d'attente disciplinaire, et n'importe quel livre en coursive de prison."
-l'émission glissée dans l'iPod : Jeux d'épreuve sur France Culture.
-la couleur du thé qui ne refroidit pas : ambrée.
Pour le reste, tout est pareil.
Tout est toujours pareil, sous le soleil de Tokyo.
Et la peau, au fil des heures, se souvient de sa couleur des beaux jours.
2 commentaires:
je viens d'avoir la surprise de retrouver ici quelque chose que j'attendais sans savoir que je l'attendais. certaines routines se sont créées en moi à l'insu de mon plein gré, il faut croire, et comme le disait Mme Gâ un jeudi pas très lointain, je me suis rendue compte que chaque matin je songeais moi aussi que "les cerisiers étaient en fleur et qu'il n'y avait personne pour les fêter" sur les bords des bus qui m'emmenent au travail à Strasbourg, c'est fou comme certaines phrases se gravent...
enfin bref, je viens de m'apercevoir que j'attendais les lampions roses, quand je les ai vus apparaître sur mon écran, je me suis sentie apaisée. comme si leur absence, alors même que mon frère a cherché les oeufs dans la maison ce matin à cause des 30cm de neige vosgienne qui sont massés dehors et les aurait gelés si le lapin les avait mis dans le jardin, comme si l'absence de ces lampions donc, à cette période de l'année, pour moi qui n'ai rien à voir avec ces lampions normalement, 'objectivement' parlant, aurait été une défaillance de l'horloge du monde et des rythmes de saisons autour de moi. ce qui est fou, c'est que ces lampions n'existaient pas dans ma vie avant il y a 3 ans, et qu'ils n'y existent même pas en fait vraiment, si l'on est 'objectif'.
c'est trop long pour un commentaire mais je trouve à la fois effrayant et irrémédiablement rassurant que les saisons japonaises se mettent à rythmer imperceptiblement de leurs petits cailloux mes saisons à moi, comme si la mémoire automatique qui nous fait 'savoir' que l'air sent la neige et que malgré cette neige, ça n'est pas noël mais pâques, que ça n'est pas la même neige, et que ça n'a rien à voir avec les magasins, comme si cette mémoire là s'infiltrait d'autres détails beaucoup plus lointains et pas encore aussi automatiques mais présents malgré tout, par capillarité. et je me suis dit que tu le comprendrais, et que tu ne m'en voudrais pas de ce commentaire à rallonge, de la part de la cruche affectueuse que je suis ! (cruche qui grâce à pâques retrouve une connexion, quoique la vie strasbourgeoise sans net s'avère être une redécouverte de la broderie et de la lecture au coin du feu très agréable aussi)
bon ok j'arrête de parler! mais tu m'avais manqué
Elsia, ce commentaire n'est pas trop long, il est juste bien, il est juste.
J'aime bien t'approvisionner en lampions et en fleurs de saison.
Enregistrer un commentaire