23.9.08

Tuesday self portrait(s) (jamais seule à l'heure du thé)

Un auteur dans chaque café. Et, ce n'est pas rare : des livres sur les murs.

"J'ai commencé par de petites choses, radis, crayons, petits mammifères. Puis j'ai congelé mes proches et les arbres du jardin. Mais tandis que me voilà à tirer, pousser vers le congélateur une chaîne de volcans afin de pétrifier une bonne fois les débordements tragi-comiques du magma bouillonnant sur les paisibles campagnes et sur les lacs, et alors que tout le reste de ce docile paysage s'avance d'un cran et remplace aussitôt chaque meuble jeté par-dessus bord, l'angoisse m'envahit soudain. Observant du coin de l'oeil cette file postée devant les bacs du congélateur et qui s'organise en campement pour la nuit après une longue journée d'attente obstinée mais courtoise, la question me tracasse horriblement de savoir qui à la fin fera avec douceur le noeud de mon propre sac de congélation sans me tirer les cheveux, m'installera dans un confortable recoin et rabattra la porte. Se pourrait-il que celui qui rend de tels services n'ait pourtant jamais droit à une immobilité bien méritée ? Se pourrait-il que je n'aie plus alors qu'à tourner en rond pour le reste du temps autour d'un congélateur tenant au frais le monde entier ?"
Emmanuelle Pireyre. Congélations et décongélations et autres traitements appliqués aux circonstances.


"On regardait ensemble la devanture du libraire de la place des Belges, parfois elle proposait "veux-tu que je t'en achète un ?". Pareil qu'à la pâtisserie, devant les meringues ou les nougatines, le même appétit, la même impression aussi que ce n'était pas très raisonnable. "Dis, ça te ferait plaisir ?" C'est le libraire forcément qui conseillait, choisissait, la seule différence avec les gâteaux, à part Delly et Daphné du Maurier, elle n'était pas calée. Ca sentait le sec, une poussière fine, agréable. "Donnez-le à ma fille", disait-elle avant de payer. Elle me promettait pour plus tard un beau livre, Les Raisins de la colère et elle ne voulait ou ne savait pas me raconter ce qu'il y avait dedans, "quand tu seras grande". C'était magnifique d'avoir une belle histoire qui m'attendait, vers quinze ans, comme les règles, comme l'amour. Parmi toutes les raisons que j'avais de vouloir grandir il y avait celle d'avoir le droit de lire tous les livres."
Annie Ernaux. La femme gelée.


"-Le piano -depuis cette nuit il me rappelle qu'il y a des choses que je n'aurai plus le temps de faire."
Il ferma les yeux, comme toujours quand il voulait prévenir une objection muette de ma part. "Il ne s'agit pas d'insignifiantes petites joies et de plaisirs fugitifs, comme lorsqu'on avale un verre d'eau par une chaleur torride et poussiéreuse. Il s'agit de choses que l'on souhaite faire et vivre parce qu'elles seules permettront à votre vie, cette vie très particulière, de former un tout et parce que sans elles la vie resterait incomplète, une statue inachevée ou un simple fragment."
Patrice Mercier. Train de nuit pour Lisbonne.

Au café des quatre saisons,en revanche, à défaut de savoir déchiffrer mon avenir dans les feuilles de thé, je me contente de lire ma tasse.

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