31.5.09

L'heure anglaise (10)

La ville est verte.
Ce n'est plus le vert frais et tendre du printemps.
C'est un vert dense et profond, le vert mousson.
Le vert tropical et oppressant de la saison des pluies qui s'annonce et qui change le soleil en ennemi lorsqu'il parvient à percer le gris uniforme du ciel.
Bientôt, de jour comme de nuit, la peau ne sera plus jamais sèche et les draps des lits seront en éponge.
Alors c'est une sensation délicieuse que de traverser à grandes enjambées la fraîcheur du dimanche matin débutant.
A l'approche du Botanique, j'éteins la radio car, à toute parole, je préfère la vie du jardin qui bruisse derrière les hauts murs.
Les corolles des fleurs qui s'allègent des gouttes de rosée, les serpents et les lombrics qui froissent les herbes, les oiseaux qui picorent les graines...
A la reprise de l'écoute, l'auteur dit de son journal qu'il est sa béquille. Plus tard, alors que j'ai déjà choisi le parfum de l'eau chaude qui accompagnera ma lecture, elle évoque Virginia Woolf. Il est temps de rentrer.

"J'ai sorti ce journal et je l'ai lu comme on relit toujours ses propres écrits, avec une sorte d'avidité coupable. Je confesse que son style expéditif et décousu, si souvent incorrect grammaticalement, et qui réclamerait bien des corrections m'a plutôt consternée. Je voudrais dire à la personne, quelle qu'elle puisse être, qui lira ceci que je suis capable d'écrire beaucoup mieux et que je ne consacre pas beaucoup de temps à ce journal, et je lui interdis de le montrer à qui que ce soit.
(...)
Quelle sorte de journal aimerais-je écrire ? Il devrait être comme un tissu lâche qui ne ferait pas négligé, assez souple pour épouser toutes les choses graves, futiles ou belles qui me viennent à l 'esprit. J'aimerais qu'il ressemble à un vieux bureau profond, ou à un vaste fourre-tout dans lequel on jette une masse de choses dépareillées sans les examiner. J'aimerais y revenir au bout d'un an ou deux pour découvrir que ce disparate s'est trié de lui-même, épuré de lui-même, qu'il a fusionné, comme le font toujours si mystérieusement ces dépôts, en une forme assez transparente pour refléter la lumière de notre vie, mais cependant solide, respirant la sérénité et empreinte de ce détachement propre à toute oeuvre d'art."
Virginia Woolf. Journal intégral. Mercredi 17 avril 1919.

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