3.9.08

Le (bon) usage de la photo

Quel est donc le hasard qui préside au choix de mes lectures et les fait se répondre ?
Dans le Dernier Monde de Céline Minard, Stevens, l'unique survivant, n'a pas à se débarrasser des corps de l'humanité disparue puisque, justement, tous ses semblables ont disparu. Totalement disparu, fondu sans laisser d'autres traces que leurs vêtements :
"J'ai trouvé un short et un T.shirt sur le sol du hall et une blouse blanche légèrement usée au col et aux manches. Quand je l'ai ramassée pour la ranger quelque part, j'ai senti d'autres vêtements à l'intérieur : une chemise, un bermuda kaki, un caleçon d'homme."

Et puis, au One plus one café, je bois une théière de Pu Er et je lis L'usage de la photographie.
Annie Ernaux et Marc Marie laissaient leurs vêtements en désordre sur le sol de la cuisine, de la chambre, du couloir... Là où ils faisaient l'amour.

Un jour, Annie Ernaux a l'idée de prendre ces compositions aléatoires en photo.

"Comme si faire l'amour ne suffisait pas, qu'il faille en conserver une représentation matérielle, nous avons continué à prendre des photos. Certaines ont été prises aussitôt après l'amour, d'autres le lendemain matin. Ce dernier moment était le plus émouvant. Ces choses dont nos corps s'étaient débarrassés avaient passé toute la nuit à l'endroit même où elles étaient tombées, dans la posture de leur chute. Elles étaient les dépouilles d'une fête déjà lointaine. Les retrouver à la lumière du jour, c'était ressentir le temps." (Annie Ernaux)

Un soir, les amants décident de choisir quatorze de ces photos et d'écrire, chacun de leur côté, quatorze textes qui s'y rattachent.

"La quasi-totalité des clichés se situe en un lieu unique -Cergy. En les rassemblant, on peut se figurer qu'ils ont été pris le même jour. Ce pourrait être les photos d'un service de criminologie, et nos vêtements ce qu'il reste de nous, après que nos corps, pour une raison inexpliquée, se sont volatilisés."(Marc Marie)

C'est un livre qu'on a envie d'offrir à son amant.

Pas seulement parce que ces tas de vêtements improvisés donnent envie d'enlever les siens dans le même but !

Mais aussi -et surtout- parce qu'elle est belle, cette idée du couple : deux êtres humains qui n'ont pas pour projet de fréquenter les grandes surfaces -qu'elles soient culturelles, d'ameublement ou d'alimentation- le WE mais qui, en plus d'unir leurs corps, unissent aussi leur imagination, leur inventivité, leur créativité afin de dire leur amour, de dire leur aventure de manière singulière alors qu'elle est aussi banale ou belle que n'importe quelle autre histoire d'amour.

C'est un livre qu'on a envie d'offrir sans prétexte, sans occasion à célébrer. D'offrir comme on offre des fleurs, un joli foulard ou un nouveau carnet.

C'est un livre qu'on a envie d'offrir juste parce qu'on est amoureux, toujours amoureux.

3 commentaires:

Mélie a dit…

Quel plaisir de repasser ici et de rattraper le retard accumulé depuis un mois. Te lire m'avait manqué. (Et j'aime j'aime j'aime le carnet à thé, évidemment.)

Gwen a dit…

Mélie, c'est toi, alors, le drapeau irlandais parmi les visiteurs ??!!!! J'ai aimé recevoir tes chroniques exotiques, c'était comme des cartes postales, c'était une bonne idée !
Et maintenant, j'ai hâte de lire tes aventures Dublinoises !

Mélie a dit…

oh non, ce n'est pas moi le drapeau irlandais, pas encore :) mais ça va arriver vite ! tu en auras deux, alors :)