14.9.08

Un dimanche matin à Tokyo

D'habitude, il y a les voitures qui roulent dans l'eau qui a lavé le camion du transporteur de baleine. Les journaliers qui viennent chercher les canettes dans la poubelle du distributeur et les plient méthodiquement. Les portes qui battent en s'ouvrant, les pas pressés qui résonnent aussitôt après dans la rue. Les conversations matinales. Les sacs plastiques qui bruissent quand ils sont jetés sur les autres poubelles. La voix féminine qui avertit qu'un camion va changer de direction.
D'habitude, il ne faut pas s'éveiller après 5H30 si on veut surprendre le silence de la rue.

Le dimanche ne commence pas comme les autres jours.
Avant même d'ouvrir les yeux, on ne s'y trompe pas. La rue se tait. Puis, doucement, s'éveille.
Des couples passent, le bruit des talons assorti à celui de chaussures masculines. Des rires. Et, quand je les regarde, je vois les mains mêlées, la démarche alanguie. Je sais qu'ils ont opté pour le tarif "stay" d'un des love hôtels de la rue.
Tôt, assez tôt, le bourdonnement des machines à laver sur les balcons est suivi des trois bips qui signalent la fin de l'essorage. Alors les moustiquaires coulissent le temps d'accrocher le linge aux pinces des séchoirs.
Plus tard, les coups donnés sur les futons qu'on aère.
Une voix qui chante dans une langue qui ne m'est pas familière.
Une autre : "alors c'est ici que tu habites ? -Ben oui, tu vois." Et un temps avant de réaliser : mais, ils parlaient français !
Plus tard aussi, des parfums de cuisine.

Le dimanche ne commence pas comme les autres jours.
Ce matin, mon petit déjeuner a le goût d'une crème au macha et de dangos au kinako.

Il y a, cependant, des invariantes :
la théière transportée sur le balcon est emplie de Pu Er.
Et un livre m'accompagne.

"Gregorius fit ce qu'il avait toujours fait quand il était indécis : il ouvrit un livre. Sa mère, fille de paysans du Mittelland bernois, avait rarement pris un livre en main, tout au plus une fois un roman régional de Ludwig Ganghofer, et elle l'avait lu pendant des semaines. Le père avait découvert la lecture comme moyen de vaincre l'ennui dans les salles vides du musée, et quand il en eut pris le goût, il lut tout ce qui lui tombait sous la main. "Maintenant tu te réfugies toi aussi dans les livres", avait dit la mère quand son fils découvrit à son tour la lecture. Cela avait fait mal à Gregorius, qu'elle vît cela ainsi et qu'elle ne comprît pas quand il parlait de la magie et de la force éclairante que possédaient les bonnes phrases.
Il y avait ceux qui lisaient et il y avait les autres. On remarquait vite si quelqu'un était un lecteur ou non. Il n'y avait pas de plus grande différence entre les hommes. Les gens s'étonnaient quand il affirmait cela, et plus d'un hochait la tête devant tant de bizarrerie. Mais c'était ainsi. Gregorius le savait. Il le savait."
Pascal Mercier. Train de nuit pour Lisbonne.

3 commentaires:

Dvorah a dit…

Merci pour cette si belle page, qui m'aide à supporter cette journée. Je languis tellement le Japon...

Anonyme a dit…

Dis-donc, tu dois bien voler avec toute cette "brown sugar" sur tes lychees...
Bon dimanche poudreux !!

Gwen a dit…

Dvorah : un peu de mélancolie du dimanche ???
Bertrand : ce sont des dangos (de la farine de riz) et du kinako (de la poudre de soja), des noms qui sont devenus communs pour moi... Du sucre sur des lychees... ça ne me viendrait pas à l'idée !!!!