6.1.08

De l'utilité de toute chose


Le moins que l'on puisse dire c'est que je n'ai pas le sens de la répartie.
C'est, en effet, seulement maintenant que je sais ce que j'aurais aimé répondre à ces garçons boutonneux et obtus qui, en classe de seconde, disaient avec mépris : "on s'en fout, du français, d'toute façon, on veut faire S. Et puis, à quoi ça sert la littérature ?".
(C'est bien les scientifiques, ça, de vouloir une utilité à chaque chose...)
Plus que savoir ce qu'ils sont devenus -ce qui m'importe peu- j'aimerais savoir ce qu'ils ont gardé, eux, de cette année de leur scolarité. Pendant que je découvrais Gracq, Céline, Beckett... étaient-ils marqués à vie par un calcul vectoriel ou par la formule permettant de savoir à quelle vitesse est propulsée une balle par le canon d'un revolver ???

Je sais donc maintenant ce qu'il aurait fallu répondre à leur question : "à quoi ça sert?"

"Outre la promenade, il n'y avait qu'un autre moyen de tromper l'angoisse gluante de la promiscuité perpétuelle : c'était la récitation poétique, à voix basse ou à haute voix. Ce moyen-là avait sur la promenade hygiénique un avantage considérable, même s'il était, bien évidemment, moins salutaire pour le corps en déréliction : c'était de pouvoir se pratiquer à tout moment, quel que fût le temps, l'endroit, l'heure de la journée.
Il y suffisait d'un peu de mémoire.
Ainsi, même assis sur la poutre des latrines du Petit Camp; ou éveillé dans le brouhaha gémissant du dortoir; ou aligné au cordeau sur la rangée de détenus devant un sous-off SS faisant l'appel; ou attendant que le service des chambrées découpât au fil d'acier le dérisoire morceau de margarine quotidien; dans n'importe quelle circonstance on pouvait s'abstraire de l'immédiateté hostile du monde pour s'isoler dans la musique d'un poème.
Aux chiottes, quelle que fût la pestilence et le bruyant soulagement des viscères autour de vous, rien ne vous interdisait de murmurer la consolante mélodie de quelques vers de Paul Valéry." (Le mort qu'il faut. Jorge Semprun.)

La littérature sert à rester humain en toute circonstance.

J'étais au lycée pendant que Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat étaient enfermés dans un sous-sol libanais. Et voir, chaque soir, le compte des jours de leur captivité en ouverture du journal télévisé me tordait le ventre.
Avec Nadine, on avait réfléchi à une nouvelle filière professionnelle : un BTS otage.
Il nous semblait que, quitte à ce que cette odieuse pratique d'enlèvement perdure, mieux valait qu'elle soit professionnalisée (de part et d'autre : nous avions également songé à un DUT terroriste).
Nous n'avons appris qu'ensuite à quel point la littérature avait aidé Kauffmann dans sa détention mais nous avions pressenti que la lecture de grands textes devait figurer au programme. De ces auteurs dont mâcher une phrase peut occuper toute la journée.
Car qui tiendrait le coup -ne serait-ce qu'un mois- dans la jungle amazonienne à se réciter du Amélie Nothomb ? Qui cela aiderait de déclamer du Pennac ? A qui cela sauverait la vie de se souvenir des intrigues de Douglas Kennedy ?

Quand j'ai refermé mon livre ce matin, au café, c'était encore l'heure du petit-déjeuner.
Suite au message que je lui ai envoyé, il m'a appelée : "Oui, je l'ai lu. Je peux te le prêter, si tu veux."
Il est des lectures (Le mort qu'il faut de Jorge Semprun) qui donnent envie de lire (Absalon Absalon de William Faulkner).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bienheureuse, comme je l'aime l'inutilité de cette fugue, si peu récréative, et ce poète qui nous parle de rouge pour donner un sens à ses vers ...

Pays de Neige

Anonyme a dit…

apres "le garcon en pyjama raye"...
ca va sinon?

Gwen a dit…

Concours de circonstance ! Ce n'est pas un programme établi !!!

akaieric a dit…

En ce qui me concerne, les maths m'ont donné un métier. Le français m'a donné... une âme peut être?
Mais bon c'est sur que de tout ce qu'on nous apprends à l'école, on oublie plein de trucs...