La mémoire indolente
Tout était tellement différent. Tout était une nouveauté à laquelle j'aurais voulu ne pas m'habituer. Tous les matins, je m'éveillais en espérant être encore en train de rêver. J'attendais le vrai réveil, celui qui aurait lieu à nouveau dans l'île lointaine et ensoleillée où, grâce à un simple caprice, j'avais réussi à échapper à l'école.
En attendant le vrai réveil, donc, j'apprenais à lire grâce à Daniel, Valérie et leur chien Bobby dans des préfabriqués sans charme, dans cette ville construite depuis peu et encore en chantier.
J'avais six ans, j'avais passé deux ans de ma vie en Guadeloupe et je ne savais pas encore ce que ça voulait dire : "avoir des amis".
De même, je n'avais encore jamais eu l'occasion de manger de chausson aux pommes. J'en connaissais seulement le parfum car, tous les jours, la mère de ma voisine de classe -une petite Portugaise à la moitié du visage plissée par la cicatrice d'une brûlure au troisième degré- lui en apportait un à la sortie de l'école, à l'heure du goûter.
Je me suis rappelée de tout cela, un matin, alors que j'étais sur mon balcon et que, arrivée de je ne sais pas où, m'est parvenue une odeur de pâte feuilletée et de compote de pommes.
Je sais que plus tard, plus loin, ailleurs, comme maintenant, comme ici, il y aura des saveurs, des odeurs et tant de sons qui, sans que je les convoque, sans que je les provoque, me surprendront.
Un jour de beau temps me rappellera le bleu Ikebukuro.
Une bouchée de riz complet aura le même goût que celui des onigiris du jeudi, face à la montagne.
La radio diffusera sans me prévenir la chanson d'Odaiba.
J'ouvrirai sans y penser le livre dans lequel j'ai glissé la photo du petit chat.
Alors, instantanément, je serai à nouveau au Japon.
(Frappée par la semaine qu'elle a consacrée à la mémoire, j'emprunte sa thématique ainsi que le titre de mon billet à Madame Gâ.)
3 commentaires:
Ce soir, remontant à pied de la plage où j'avais regardé longuement un gros pélican balancé doucement par les vagues, dans la nuit douce de ce premier soir d'hiver, j'ai senti des odeurs et entendu des bruits d'insectes et d'oiseaux qui, tout-à-coup, m'ont ramené presque 7 ans en arrière.
Lorsque Fanny avait 18 mois et que la prenant par la main, nous remontions paisiblement le chemin de terre, alors que tombait la nuit douce de Basse-Terre, pas si loin sans doute de tes propres sentiers d'enfance.
Là aussi, j'entendais le bruit du ressac et la paix m'envahissait.
DesBIsesMarinesEtRémanentes
Un salut au pélican de l'hiver. En attendant sans hâte les insectes.
Et des bises à toi.
Quel plaisir de presque parler ensemble :-))))))))))))))))))
Je t'embrasse (pour changer)
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