Les rendez-vous d'Hiroo
A notre prochaine rencontre, je sais qu'elle relatera de mon île natale des découvertes autrement plus étonnantes que les plages de sable fin pour lesquelles elle est banalement célèbre.
Car le récit de ses voyages me transporte toujours dans des paysages qui n'ont rien de commun avec les clichés des guides touristiques. Et de ses rencontres de passage, elle se garde d'élaborer des généralités tronquées.
Hier soir à Shinjuku, j'ai pensé à elle en voyant les poches empilés là où les livres sont en français : lors de notre dernier rendez-vous, ce n'est pas un voyage qu'elle m'avait raconté mais sa lecture enthousiaste de ces pages.
A la sortie de la librairie, le ciel était pastel, rien ne me pressait et je me suis assise en terrasse. La foule défilait en flots constants et les conversations formaient un bruit de fond compact. Dans l'agitation du soir, j'étais pourtant au calme, dans le Japon de l'année de ma naissance, souriant des impatiences de Nicolas Bouvier, ravie de ce si bon conseil de lecture.
"Le voyageur qui approche un pays étranger doit obéir à certains impératifs mentaux. Tout d'abord, il lui faut systématiquement chercher les qualités ou, comme dirait dame Sei Shonagon, la "chose agréable", et s'y accrocher comme une tique. Quant aux défauts, on les trouve, pas besoin de les chercher. La vie est courte aussi et ce n'est pas la peine d'en consacrer la moitié à des irritations superflues. Ensuite, comme dit Michaux : "Tout ce qui ne contribue pas à mon édification : zéro." En troisième lieu, parce qu'il y a moins de variété et d'invention dans les défauts que dans les qualités (je me rends bien compte qu'il s'agit là d'un postulat, mais j'y crois absolument). L'invention dans le bien dispose d'un éventail beaucoup plus large que l'invention dans le mal -voir l'insupportable monotonie de Sade (son côté prévisible), l'Histoire d'O qui ne parvient pas à rebondir, le côté scolaire et pion des grands malfaiteurs, sacrilèges, Gilles de Rais, etc, gens si laborieux dans leurs vilenies. Lorsqu'on a violé une femme -nonne ou vestale de préférence- de toutes les façons possibles, ou célébré par dérision une messe sur l'étal d'un boucher devant des abattis de porc, que peut-on bien faire de plus ? On peut toujours encore brûler un feu rouge.
Jetez par contre un coup d'oeil aux "questions et réponses" de mystiques iraniens comme Attar le Parfumeur ou Djalal al-Din Rumi -qui était turc-, on est partagé entre la surprise émerveillée et un sentiment de connivence profonde, cela touche au centre de vous-même le mille d'une cible dont on ignorait l'existence. C'est mieux que ce qu'on attendait et c'est aussi, d'une autre manière exactement ce qu'on attendait."
Nicolas Bouvier. Le vide et le plein.
2 commentaires:
Nicolas, quel compagnon de voyages !!!! Ma mini bibliothèque de voyage (comprendre: les livres qui me suivent pendant mes deux ans Downunder) en compte quelques uns de lui et j'en suis ravie.
il est bon de savoir qu'on lit Nicolas à chaque bout du monde :) il accompagne les jours ici aussi.
Enregistrer un commentaire