1.2.09

Akakatta

"Depuis que j'écris beaucoup en allemand, les adjectifs de la langue japonaise me paraissent de plus en plus puissants. En allemand, les adjectifs sont des parasites des substantifs. Quand un substantif est au féminin et veut se montrer au datif, l'adjectif lui aussi doit se maquiller en femme et fléchir son corps au datif. L'adjectif japonais, pour sa part, ne s'adapte pas, il peut même déterminer à lui seul le temps de la phrase : akakatta (était rouge). Car dans son corps même il comporte le verbe être. Etre rouge n'est donc pas une information supplémentaire sur une fleur, c'est une activité. je me demande souvent si la dureté d'une pierre ou la chaleur d'une main ne sont pas elles aussi des actions au moins autant que le vol d'un oiseau. On considère généralement qu'il y a un mouvement lorsque quelque chose se déplace d'un point à un autre. Mais si, par exemple, il fait "clair", l'air est empli d'innombrables particules volant à une vitesse éclair. Un livre est "intéressant" quand sa langue met en mouvement les pensées du lecteur."
Yoko Tawada. Narrateurs sans âmes.

Je suis bien persuadée que notre langue détermine notre regard, notre manière d'appréhender les choses.
Je suis bien persuadée que la différence qui existe entre voir le monde sexué comme nous l'impose la langue française ou le voir neutre comme le suggèrent le japonais ou l'anglais est du même ordre que celle qui existe entre notre vision humaine en couleurs et celle en noir et blanc des chats.

Je vis dans une ville qui n'a pas été conçue pour être décrite par mon vocabulaire.
Et, de la même manière, je vis des expériences que je peine à transmettre. Et qui n'ont, ici, nul besoin d'être dites. Parce qu'elles sont universellement partagées. Et qu'elles relèvent des sentiments, du sensible, de l'évidence et du non-dit. Et pas du cérébral.

Suspendre sa vie un temps pour regarder les fleurs.
Par exemple.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup les réflexions sur l'appréhension du monde, c'est comme voir le monde de très haut et constater notre peu d'importance personnelle. Des mondes s'ouvrent à nous, pleins d'autres richesses.