28.2.09

En terre étrangère

Claire Denis raconte qu'elle était gravement malade, clouée au lit, quand elle a entendu cette émission qui a changé sa vie.
Elle n'a pas changé la mienne mais elle m'a marquée, moi aussi.
Hervé Pauchon était monté dans le RER pour faire parler les passagers des livres qu'ils étaient en train de lire, leur en avait fait citer des extraits.
A la fin, c'était le conducteur qu'il avait interrogé.
Le conducteur avait dit la difficulté d'être étranger -alors même qu'il était Français mais pas blanc- et avait parlé de Mars de Fritz Zorn.
Je me souviens que ça m'avait donné envie de prendre le métro.
Mais, au lieu de ça, j'avais remis de l'eau à chauffer, repris Médor sur mes genoux, m'étais replongée dans mon livre.
C'est maintenant, maintenant que je suis étrangère dans un pays où il ne m'est pas difficile de l'être, que je prends le train, que je lis dans les trains.
Je lis en français.
Et le français est une langue étrangère.

"-Oh non ! Paris est encore loin, mais nous serons dans quelques instants à la frontière française. A compter d'aujourd'hui, c'est à dire depuis minuit, il y a une grève générale en France. Tous les trains sont arrêtés. Préparez-vous vite pour descendre !
Pas un mot de récrimination ne vous venait à l'esprit. On ne peut pas se disputer sans adversaire. Vous saviez que les Français faisaient des grèves radicales mais cela devait rester une scène qu'on s'amuse à regarder au journal télévisé. Si on vous demandait de descendre de ce train de nuit, c'est qu'il y avait dans la réalité un dysfonctionnement bien malencontreux entre les informations et la vie.
(...) Quand on regarde le reste du monde, on trouve quelques malheureux pays où la grève n'est pas autorisée, et dans ces pays, il y a même de pauvres employés qui se suicident en disant : "Plutôt que de faire de la peine aux passagers, je préfère perdre mon emploi et mourir de faim." Le personnel des chemins de fer français, lui, chasse fièrement ses clients du train, c'est plus sain et plus rationnel.
(...)La grève était peut-être un événement amusant. Une ville hors d'état de fonctionner se transforme en parc d'attractions.
Quelques années plus tôt, à Marseille, vous aviez vu la ville pendant une grève des éboueurs. Les ordures s'amassaient sur les trottoirs, leur volume augmentait de jour en jour et elles avaient beau s'élever au-dessus de la taille d'un homme, la grève continuait. Les déchets pourrissaient sous le soleil du plein été. Les gens contemplaient ces tas de puanteur. Il y avait là une excitation presque festive. Lorsque la grève avait cessé, les montagnes d'ordures avaient disparu d'un seul coup, si rapidement que c'était à se demander si ces obstacles n'avaient pas été déposés là pour le plaisir du jeu."
Yoko Tawada. Train de nuit avec suspects.

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