3.1.09

Les lectures du balcon

Parfois ça me prend, cette envie de faire comme si, cette envie de faire semblant, de jouer un rôle qui ne duperait que moi.
Parfois, donc, je me mets dans la peau de la typique lectrice de Biba qui vit à 100 à l'heure dans un monde où tout va si vite ! Et qui n'a ABSOLUMENT pas le temps d'ouvrir un seul livre de toute l'année. Et ce n'est pas faute d'en avoir envie ou d'en entendre parler.
Voilà.
Comme cette femme que je ne suis pas, j'ai fait une pile de pages à tourner pendant les vacances. Comme si je ne lisais jamais le reste du temps.

Et, tous les jours, comme obéissant au parfait cliché, le soleil a brillé sur mon balcon, favorisant ces moments hors du temps où la lecture nous emmène si promptement ailleurs.

Demain, j'irai attendre E. à l'aéroport et je sais qu'il va me rapporter Biba.
Abandonnant brièvement mes romans, je me projetterai dans cet univers de science-fiction qui me rappellera que, si j'étais une VRAIE lectrice de Biba, je n'aurais pas passé mes vacances à lire : j'aurais cherché THE right cadeau de Noël dans les boutiques branchées jusqu'au 24 décembre. J'aurais enduré stoïquement les remarques perfides de ma belle-mère et serré les dents en découvrant que rien de ce que j'avais espéré recevoir n'était au pied du sapin. J'aurais fait un régime éclair d'une semaine pour pouvoir encore profiter du foie gras du 31 après avoir abusé de celui de Noël... Et là, je ne serais pas en train d'écrire mais dans les magasins pour le premier jour des soldes.
De la science-fiction, donc.

"Plus tard, je vois un gars par une fenêtre qui, très tard, bosse encore sur son ordinateur. Un gars émouvant, déplumé.
Il toise l'écran par-dessus ses lunettes de presbyte. Je ne sais pas pourquoi, mais il me rend intacte une minute d'enfance où je me disais : des milliers d'histoires m'attendent partout, elles sont toutes intéressantes et je vais toutes les vivre pour toutes les raconter."
Emmanuel Guibert. Le pavé de Paris.

"Est-ce qu'ils n'étaient pas à peu près officiellement fiancés, après tout ?
Depuis toujours ils s'étaient connus et on ne sait pas quand on a passé de se connaître à autre chose. Il y a une ligne de frontière qui n'est marquée que sur la carte et dans les livres; elle n'est pas visible dans les coeurs. ça se fait sans qu'on sache, et ce qu'on sait ensuite, c'est seulement que ça s'est fait."
C.F. Ramuz. La beauté sur la terre.

"Les choses iront mieux lorsqu'il n'y aura plus personne.
Vous croyez ?
Certainement.
Mieux pour qui ?
Pour tout le monde.
Pour tout le monde.
Certainement. On se sentira tous mieux. On respirera tous plus facilement.
C'est bon à savoir.
Oui. Vraiment. Quand on sera tous enfin partis alors il n'y aura plus personne ici que la mort et ses jours à elle aussi seront comptés. Elle sera par ici sur la route sans avoir rien à faire et personne à qui le faire. Elle dira :Où sont-ils tous partis ?Et c'est comme ça que ça se passera. Qu'y a-t-il de mal là-dedans ?"
Cormac Mc Carthy. La route.

"Chacun se construit son histoire, ajoutant, retranchant ou déplaçant des scènes, opérant, à son insu, son propre montage.
Repentirs, réécritures... Ma mémoire est bricoleuse, elle passe son temps à redistribuer les scènes de mon passé. Qui viendra démentir ma bonne foi ? Si j'ai l'esprit de l'escalier, est-ce parce que je crois que je peux retoucher ma vie comme un bon film, ajouter une réplique, me donner le beau rôle, en réécrire les sous-titres, avoir toujours le dernier mot ?"
Didier Blonde. Les fantômes du muet.

"Le goût que l'on développe par la suite est fidèle à ces impressions d'enfance, mais il change de registre : filtré par d'autres expériences, il se déplace sur une échelle des valeurs dont l'art donne la mesure, et se travestit quelquefois pour ne pas être impudique. Je ne suis pas loin de penser que mon émotion devant tant de choses au Japon, dont l'esthétique est à la fois si légère et tellement maîtrisée, est la résurgence d'une émotion encore vive devant les étoffes, les écheveaux de laine et la chevelure féminine; devant les outils de la couture et du tricot qui se mêlent dans le souvenir aux accessoires de la beauté, de même que les instruments de l'écriture à ceux du maquillage."
Gérard Macé. Un monde qui ressemble au monde.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

D'habitude, j'ai beaucoup de mal à accrocher avec la science-fiction, mais la tienne, elle m'a vraiment - mais vraiment - faire rire
:-)))))

Je lisais l'extrait de Ramuz sans le savoir et me suis juste fait la réflexion que cette phrase était diablement belle (...).

Sais-tu (et j'en finirai là) que tu as réussi à extraire la seule phrase désopilante de "La route" ? (dans ce contexte, je crois que désopilant est bien le mot adequat)

Ju

Anonyme a dit…

Ramuz et Mc Carthy à la suite l'un de l'autre trouvent un écho qui m'est très personnel en ce début d'année... "drôle" de coïncidence.
Tanguy.