21.2.09

Les moments doux

On sait bien qu'on dit des choses de soi chez le coiffeur qu'on ne dit pas facilement ailleurs.

"En japonais, quand il se produit un événement très important, on dit : cela ne peut pas faire une histoire. Comme si ce que l'on vivait était en soi inexprimable sinon dans des termes déjà acceptés par le corps social. Une phrase par exemple qui commence par : "j'ai perdu un enfant" doit nécessairement continuer ainsi : "c'est une expérience douloureuse, terrible". Le travail de la littérature consiste à casser ces signes codés ou du moins à les éviter. Si je ne peux m'empêcher de relater ce type d'expérience, c'est surtout ma manière de lutter contre ces signes socialement acceptés. L'expérience fondamentale sera bien sûr d'essayer de cerner ce que l'on éprouve mais en tentant d'aller jusqu'au noyau du sens."
Tsushima Yûko. Entretien avec Philippe Forest in Pour un autre roman japonais.

J'aime mes conversations aléatoires.
J'aime aussi découvrir que ce que j'avais pris pour une parole personnelle et intime est, en fait, un lieu commun que n'importe quelle autre personne, dans la même conversation, m'aurait dite.
Qu'est-ce qui compte davantage ? L'intention du locuteur ou la façon dont son auditeur reçoit ses paroles ?
Il m'est parfois très doux et paisible de me reposer des mots auxquels, par ailleurs, ma vie est tellement attachée.
Je détesterais être anthropologue et faire de l'étranger un sujet d'étude plutôt que de pouvoir continuer à vivre ces instants vertigineux.
Ces instants où, tout à coup, nos différences se rappellent à moi, ces instants minuscules qui me permettent -même fugitivement- d'apercevoir des existences qui se passent de psychanalyse, qui ne connaissent pas la perpétuelle habitude de donner un avis personnel en toute circonstance et même quand personne ne le sollicite.
Ces instants de rencontre, au-delà des mots et des cultures.
Ces instants qui valent pour ce qu'ils sont, pas pour ce qui s'y dit.

Ma coiffeuse, en me tendant sa carte, a désigné le premier caractère de son prénom : "ça veut dire amour".
Combien de significations ce mot a-t-il dans le monde ?
Le sens que je lui donne, moi, va très bien à Aiko.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai decouverts votre blog il y a quelques jours par hasard. Je vis moi -meme a Tokyo dans le quartier de yoyogi et je suis tres heureuse de trouver quelqu'un qui decrit et illustre si bien ces petits moments, hasards et surprises qui nous sont offerts par la vie Tokyoite bien loin des habituelles harajuku-girls et derniers produits sony.

Merci!

Dvorah a dit…

et merci encore de partager ces moments doux avec nous sur ce blog.

Tanguy de M a dit…

oui, je partage l'avis de Nora, moi qui viens de re-poser les pieds dans l'exagone, quittant cette ville que tu décris si bien et y ayant trouvé une partie de tout cela. Merci pour ton dernier mail auquel je répondrai (je voulais juste relire un peu ton blog et y reprendre quelques images afin de ne pas quitter trop vite cette endroit, bien qu'en France depuis trois heures seulement). Je te salut bien amicalement.