9.3.09

L'extinction

Sur la route du retour, j'aurais pu m'arrêter cent fois, les enseignes brillent longtemps dans la rue du samedi...
Mais les lunes ne sont pas assez printanières encore pour me donner envie de nuits plus jolies que mes jours.

Elle a dit qu'on ressemblait à des soeurs. Elle a ajouté : "à des jumelles". Pour y croire, il faudrait admettre que des jumelles puissent n'avoir ni le même âge, ni la même nationalité.
J'ai été embarrassée pour la féliciter parce que les mots me sont venus dans toutes les langues à la fois mais toutes les langues... ça n'en fait jamais que trois...

Et c'est exactement à ce moment-là que j'ai perdu ma voix.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Avant de devenir muette, je ne savais pas lire la poésie. Je me souviens que le poème se déroulait au-devant de moi, comme de l'autre côté d'une infranchissable fenêtre. Au mieux, la poésie m'impressionnait. Je pensais n'être pas suffisamment intelligente pour elle.

À présent, il me semble au contraire qu'elle est consentement à la simplicité. Qu'elle ne demande, à celui qui la lit, que de s'abandonner. De se quitter.

Je choisis des textes de langue étrangère. Sur la page de gauche est imprimé le poème dans sa langue, sur la page de droite dans sa traduction. Et chaque matin je lis un poème, ou deux, à haute voix. Je veux dire: à haute voix intérieure et parfois même, pour la langue du poème, en remuant mes lèvres et disposant ma bouche comme pour la proférer. Car, même si je suis impuissante à la faire sonner, la langue continue de vivre en moi. Et de sentir ainsi l'espace intérieur de ma bouche varier suivant les sons de la langue étrangère, ceux qu'aucune habitude ne m'a rendus familiers, me redonne, plus fort qu'avant, le sentiment de la chair du langage. Après seulement j'en viens au poème traduit. Le sens alors offert me semble l'enfant possible, parmi d'autres, de ma première et charnelle lecture.

Il m'arrive même depuis quelques jours une chose étrange. J'ai entrepris la lecture de poèmes russes. Je ne connais rien au russe et les vers sur la page de gauche, alignant les lettres d'un alphabet qui m'est inconnu, étaient appelés à rester entièrement silencieux pour moi. J'ai cependant obstinément commencé chaque matin par parcourir des yeux, guidée par la longueur de chaque vers, la coupe des mots et le signe de ponctuation, la page de gauche avant de me rendre à celle de droite. Et peu à peu j'ai eu l'impression d'entendre le poème, de le lire vraiment en russe, comme si faire ainsi confiance portait sa récompense: sur la page de gauche, le poème m'ouvre à un secret dont, sur la page de droite, je découvre une incarnation."

Les mots pauvres - Christiane Veschambre - Cheyne.