6.3.09

Une recette de Simone

Pluie, vent, neige, froid... Le temps est à la soupe de légumes variés.
Et je songe à adopter la recette de Simone... pour réchauffer mon lit...

"En réalité, je peux cuisiner. Au début de la guerre, j'étais professeur et je gagnais peu d'argent, et mon amie californienne qui n'était pas encore californienne, qui n'était rien, comptait sur moi pour l'entretenir, alors j'ai loué une chambre avec cuisine et pendant trois ans j'ai tout cuisiné pour l'amie, Sartre et moi-même. En un sens c'était facile parce qu'on ne trouvait strictement rien, sauf des navets, des choux, des nouilles et des patates de temps en temps en temps, nourritures se cuisant simplement à l'eau. La seconde année, la vieille dame envoyait de la viande une fois par semaine et j'ai même reçu des amis à dîner dans la chambre rose. C'était facile mais en un autre sens plus difficile que ça ne l'est pour vous; en effet, la viande arrivait toujours un tant soit peu pourrie et je devais ruser pour que personne ne perçoive le sale goût vicié. Quant aux nouilles, elles grouillaient de vers, les haricots de charançons, c'était un vrai travail de les trier. Et puis, tout en préparant les choux à l'eau, il fallait affirmer hautement qu'ils étaient au beurre. Le gaz manquant, j'enfouissais la soupe et le chou dans mon lit quand la cuisson avait commencé pour qu'elle s'achève sans en dépenser. (...)
Pendant la semaine de la Libération, le gaz ayant totalement disparu, nous cuisinions sur des feux de papier journal, en les alimentant sous la casserole jusqu'à complète cuisson des nouilles, tâche longue et fastidieuse. Eh bien, cette vie a duré trois ans, j'en avais fait un jeu qui m'amusait; maintenant que le jeu n'a plus de raison d'être, je déteste cuisiner peut-être plus qu'avant."
Simone de Beauvoir. Lettres à Nelson Algren.

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